Quelques mots en passant
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11 février 2014
Tant de choses sur cette petite île près de Puerto Rico. Mon tuba était
accroché n'importe comment, et en tâchant de le remettre je me suis trouvée
dans un courant plus fort. Ma belle amie m'a tendu la main,
mais je ne voulais pas que le courant l'entraîne aussi, je lui ai fait signe de
s'éloigner. Le courant m'a
jetée sur le récif, tout près de la surface. Quand j'ai enfin
réussi à revenir en eaux plus profondes, j'avais des épines d'oursin dans
les doigts et des égratignures plein le ventre et les cuisses, dont de
longs filaments rouge sombre s'élançaient dans la mer. Mais rien de grave.
En plongeant plus profond on trouvait un banc de poissons jaunes et bleus
abrités ensemble sous un rocher, oscillant tranquillement sur place avec
le flux et le reflux, sans lutter. Je pensais qu'ils allaient se disperser en me
voyant, ils m'ont simplement regardée de leur grand oeil placide. Zen.
Puis des poissons de toutes les formes et de toutes les couleurs,
violet et orange vif, bleus, verts, une maman trapue bleu sombre rayé
broutant à côté de son fils.
Plus tard en revenant sur l'île, nous avons joué à nous peindre le visage
avec des bouts de corail, puis nous sommes allées explorer l'île.
Nous avons vu des iguanes occupés à s'accoupler.
Pas l'air folichon. La curiosité d'un
ami photographe a agacé le mâle, et effrayé la femelle. Elle a cherché à
filer, mais le mâle l'a mordue vigoureusement sur le flanc pour la retenir
là, puis il est remonté sur elle.
Pour des raisons trop longues pour ce paragraphe,
je suis revenue de notre promenade mélancolique avec en tête le poème de Yeats:
Aedh wishes for the Cloths of Heaven
Had I the heavens' embroidered cloths,
Enwrought with golden and silver light,
The blue and the dim and the dark cloths
Of night and light and the half light,
I would spread the cloths under your feet:
But I, being poor, have only my dreams;
I have spread my dreams under your feet;
Tread softly because you tread on my dreams.
6 janvier 2014
Le téléphone qui ne sonne pas, le "bel di'" qui ne vient pas,
même si déjà le rouge-gorge a fait deux fois son nid, on se torturait
dans l'attente bien avant l'invention des messages textes sur un iphone,
à cent fois s'enliser dans la tâche de deviner ce qui peut bien se
passer dans la vie de l'Autre.
Stendhal à Clémentine Curial :
Paris, le 24 juin 1824, à midi.
Tu ne saurais te figurer les idées noires que me donne ton silence.
Je pensais que, hier dans la nuit, en faisant tes paquets, tu aurais
trouvé le temps de m'écrire trois lignes que tu aurais fait jeter dans
la boîte à L... Ne voyant pas de lettre hier, j'en espérais ce matin.
-- En changeant de chevaux à S..., elle aura demandé, me disais-je, une
feuille de papier ; mais non. Uniquement occupée de sa fille, elle oublie
l'être qui ne peut plus penser qu'à elle !
En rêvant devant mon bureau, les volets fermés, mon noir chagrin s'est
amusé à composer la lettre suivante, que peut-être tu m'écriras avant peu ;
car, enfin, que t'en coûtait-il de m'écrire un mot ? Voici donc la lettre que j'aurai la douleur de lire :
"Tu as exigé de moi, mon cher Henri, la promesse d'être sincère. Ce commencement
de lettre te fait déjà prévoir ce qui me reste à ajouter.
Ne t'en afflige pas trop, mon cher ami, songe qu'à défaut de sentiments plus vifs,
la plus sincère amitié ne cessera jamais de m'unir à toi et de me faire prendre l'intérêt le plus tendre à tout ce qui pourra t'arriver. Tu vois, mon cher ami, par le ton de cette lettre,
que la confiance la plus sincère a succédé, dans mon coeur,
à des sentiments d'une autre espèce. J'aime à croire qu'elle sera justifiée, et que jamais je n'aurai à me repentir de ce que je fus pour toi.
Adieu, mon cher ami, soyons raisonnables tous les deux. Acceptez l'amitié, la tendre amitié que je vous offre, et ne manquez pas à venir me voir à mon retour à Paris.
Adieu, mon ami."
4 décembre 2013
Merci mon si cher premier lecteur de m'avoir rappelé de venir désherber.
Je finis par ne parler que d'opéra. J'y vais souvent sans doute, si l'on compare
au new yorkais moyen, mais même si j'y allais vingt-cinq fois par an ce serait moins de quelques heures une semaine sur deux. Une infime partie de ma vie.
Il y a plusieurs raisons.
L'opéra rassemble une tranche pittoresque de spectateurs. A chaque fois j'ai quatre heures pour observer les gens autour de moi, et rien que cela vaudrait presque le déplacement. Le public m'amuse, les émotions concentrées pendant un opéra engendrent des réactions cocasses. Les gens se battent pour des sièges, pour un angle de vue, pour le droit de commenter une scène en russe à pleine voix.
Beaucoup de ces opéras m'affectent durablement. Les livrets tirés par les cheveux touchent des questions humaines profondes, et souvent je suis plongée dans de longues méditations par une vérité entrevue à travers l'amas invraisemblable de scènes.
Et, je ne veux pas parler sur une page publique de
gens que je connais, ni donner de détails sur les communautés dont je fais partie. Les amateurs d'opéra sont une communauté, mais elle est anonyme, et fluide. Je ne suis encore jamais tombée deux fois par hasard sur le même voisin. Il y a aussi les new yorkais, les voyageurs du métro, les agents des frontières aux aéroports, les personnages des oeuvres sur qui je peux écrire ici, mais je voudrais éviter toutes les présences reconnaissables, même si elles sont l'essentiel de ma vie.
Les lecteurs ici pourraient penser que je passe ma vie au Met. Mes amis facebook pensent que je passe ma vie en milonga. Là encore c'est le moyen qui parle ; je ne poste presque rien sur facebook, alors ma page ne montre que ce que les autres postent sur moi, et ces autres sont les photographes qui prennent des photos de tout le monde aux bals de tango argentin. La vérité est ailleurs, comme dirait Mulder.
Je reviens à l'opéra. A mon retour à l'opéra. Cette semaine j'ai vu le Rosenkavalier, de Strauss. C'était magnifique. Je partageais ma baignoire avec trois personnes. Un couple insupportable que personne n'arrivait à faire taire. Ils étaient fascinés par la chaise tout à droite de la scène ; la Marschallin et Octavian s'échangeaient des promesses d'amour à gauche, mais eux risquaient bravement leur vie en se penchant bien loin sur la balustrade pour mieux voir cette chaise. Ils semblaient être là parce que leur liste de choses à faire à New York avait une case pour le Met.
La quatrième personne était une femme d'une cinquantaine d'années, l'air fatigué, mais d'une bonne fatigue, comme après le travail accompli. Elle m'a souri avec une bonté calme, m'a dit que je pouvais me pencher autant que je voulais, qu'elle était bien tout au fond et n'avait pas besoin de tout voir. Elle applaudissait avec ferveur, et au premier entracte son regard s'était animé d'un nouvel éclat. Elle avait la contenance simple de ceux qui sont chez eux. Je lui ai demandé si elle venait souvent. Elle m'a dit, plus tellement, maintenant elle va voir les versions HD au cinéma. Mais de temps en temps. Surtout pour cet opéra, qu'elle aime tant. L'avait-elle déjà vu ? Oh, tant de fois. Cela fait 55 ans qu'elle voit cet opéra. En fait elle avait 80 ans, ce dont je n'arrive toujours pas à me convaincre. Elle avait vu l'opéra pour la première fois à 25 ans, quand elle s'identifiait à Sophie. Elle avait bâillé tout le long. Puis elle l'avait vu et revu, Schwarzkopf en Californie, à Munich, d'autres, tant d'autres, elle ne pouvait pas compter. Elle reconnaissait les motifs musicaux partout maintenant. L'histoire avait évolué avec elle, elle avait été la Marschallin, puis bientôt celle qui aurait voulu consoler la Marschallin, lui dire comme elle avait vu son fils se faire briser le coeur et retrouver ensuite l'amour dans un mariage heureux.
La Marschallin parle de religion. Mais que font-elles, celles à qui il est interdit d'oublier dans les bras de Dieu le temps qui passe, les amants jeunes qui s'en vont, parce qu'elles ne peuvent croire ?
J'ai quitté ma voisine à regret. J'aimerais avoir sa sérénité généreuse quand j'aurai 80 ans.
26 mai 2013
La saison du Met est finie, plus d'opéra là-bas jusqu'à l'automne.
J'y ai été le tout dernier soir, un samedi. Ce n'était pas prévu.
Le dernier de mes billets pour cette saison aurait dû être celui du jeudi de la même semaine, pour les Dialogues des Carmélites, de Poulenc. J'ai failli ne pas y aller ; j'avais passé la semaine à lutter contre une toux sèche qui semblait vouloir emporter avec elle l'intérieur de mes poumons. Pas très grave, mais désagréable -- et pourtant je l'aimais bien cette toux, chaque accès me remettait en tête un joli moment que m'avait valu le gros rhume dont elle était le vestige. Comme quoi il ne faut pas maudire prématurément les hôtes indésirables, on ne sait pas ce qu'ils ramènent dans leurs poches, peut-être de quoi faire un souvenir attachant qu'on chérira longtemps.
Je m'égare. J'ai hésité, je ne voulais pas déranger tout le monde avec ma toux. Mais je voulais tellement voir cet opéra ! J'aime beaucoup Poulenc, ses opéras ne sont pas donnés très souvent. Je n'avais jamais vu les Dialogues, mais j'avais passé de longues heures immergée dans La voix humaine il y a un ou deux ans -- "le 22 à Asnières" version tragique. Youtube a une version filmée avec Denise Duval, pour qui Poulenc a écrit l'opéra, sur un livret de Jean Cocteau. Une seule voix, la voix d'une femme que son amant quitte, il en épouse une autre le lendemain, et ils se parlent pour la dernière fois, au milieu des problèmes de connexion, les inconnues qui réclament le docteur Schmitt ou
disent à la malheureuse d'arrêter de faire l'intéressante. Elle l'aime avec l'excès désespéré que tant d'amoureuses modernes dissimulent comme elles peuvent sous une brave contenance, elle tend ses forces pour paraître solide, prend tout sur elle, l'absout, bien sûr que c'est normal qu'il la quitte, tout est de sa faute. Il lui ment une dernière fois, elle le sait, elle craque et lui avoue qu'elle a tenté de se tuer. "Voilà cinq ans que je vis de toi, que tu es mon seul air respirable, que je passe mon temps à t’attendre, à te croire mort si tu es en retard, à mourir de te croire mort, à revivre quand tu entres et quand tu es là, enfin, à mourir de peur que tu partes. Maintenant, j’ai de l’air parce que tu me parles..." Elle se laisse prendre au piège des ruptures où parfois le ton familier de la conversation fait oublier que c'est la dernière fois, et soudain on se souvient, "Oh !... Rien. Je crois que nous parlons comme d’habitude et puis tout a coup la vérité me revient..." Déjà elle déplore les effets des moyens de communication modernes -- facebook, twitter, les SMS, le chat sur internet. Bon non il s'agit ici du téléphone avec opératrice, mais ce n'est pas si différent. "Dans le temps, on se voyait. On pouvait perdre la tête, oublier ses promesses, risquer l’impossible, convaincre ceux qu’on adorait en les embrassant, en s’accrochant à eux. Un regard pouvait changer tout. Mais avec cet appareil, ce qui est fini est fini..." L'opéra s'achève quand il raccroche enfin, la laissant terrassée sur son lit.
Toujours rien dit sur les Carmélites, je continue la prochaine fois.
23 mars 2013
C'est le printemps, paraît-il, mais ici ça caille et il a neigé cette semaine.
Ce soir je finis mes reviews ICML en me gorgeant de glace -- des "gelati" Talenti, caramel
et pistache. Je ne peux m'empêcher de chasser les délicieuses incrustations dont
elles sont parsemées, morceaux de chocolat ou éclats de pistache ; la masse crémeuse
que j'avale au passage me semble simplement du remplissage, pas trop désagréable mais
sans grand intérêt. Je creuse, je creuse, et le pot est déjà à moitié vide alors que
j'ai tout juste trouvé quelques pistaches. Les faiseurs de glace savent ce qu'ils font.
J'ai aussi un amour déraisonnable pour le pot lui-même, si commode pour les jours où je
fais de la mousse au chocolat, de la crème anglaise, des truffes. Le pot fait la bonne taille,
il est léger, le plastique parfaitement transparent est presque aussi élégant que du verre,
le couvercle se visse, les lettres et la couleur marron sont d'une sobriété attrayante. Je dois
en avoir au moins douze, mais rien à faire, je m'obstine à me réjouir quand j'obtiens un pot de plus.
Cela faisait longtemps. Un peu plus tôt, j'étais sortie du restaurant Ukrainien où quelques gens
dansaient encore le tango, et j'avais marché comme une somnambule vers mon bon vieux deli
une rue plus loin, j'en étais repartie avec mes deux pots de glace. Je sentais en moi la
force étrange des habitudes anciennes de quelqu'un que je ne suis plus ; apparemment on ne
les a pas prévenues qu'il y a eu un changement de direction. J'ai tant de fois dévalisé les
congélateurs de ce deli quand j'habitais quasiment en face. Depuis, j'ai quitté East Village,
j'ai presque perdu mon goût pour la glace, et je ne vais que très rarement à l'Ukrainien danser --
ce soir, ce n'était pas prévu, cela n'a tenu qu'à un court message glissé dans l'après-midi par
un danseur que j'aime bien qui me disait qu'il irait et me proposait de l'y rejoindre.
Les vieux sillons des réflexes oubliés sont donc restés figés en bloc, Ukrainien-Deli-Glace ;
pour un peu, je serais presque rentrée à mon vieil appartement.
Cela dit, il y entre sans doute aussi un peu du rituel que mon amie J et moi observions à Buenos Aires, de descendre
des kilos de helado "dulce de leche" après les milongas. Quand elle m'a rendu visite ici en juin ou juillet
dernier, on a fait la même chose. Sans J ce n'est pas pareil ; parfois cependant, après une soirée où les danses m'ont
rendue plus euphorique qu'à l'ordinaire, le manque discret de sa présence se manifeste par une envie soudaine de glace.
25 décembre 2012
Joyeux Noël !
Comme j'aime tomber sur un texte qui me fait aimer plus encore "l'adorable Stendhal", comme dit Sciascia !
Lettre de Stendhal à Jules Van Praet
Vincennes, le 4 Septembre 1822.
Je me surprends souvent à me trouver
plus heureux que lorsque j'avais
vingt ans. Cependant je vais
atteindre la quarantaine.
Je me repents de ne m'être pas mis
un samedi, en 1803, quand j'avais vingt
ans, à faire la liste de mes actions de toute
la semaine. Je n'ai rien à objecter aux
actions que j'ai faites comme utiles
(actions pour me faire des protecteurs,
pour gagner de l'argent, etc.), ou faites
par devoir, comme marquer ma reconnaissance
à l'oncle qui a élevé ma jeunesse.
Mais c'est aux actions que j'ai faites
comme agréables que j'ai beaucoup à
dire. La plupart des choses que je faisais
comme agréables en 1803, étaient agréables
pour les jeunes gens de bon ton que je
voyais, pour les jeunes gens élégants plus
âgés que moi mais, dans le fait, ne me
faisaient nul plaisir.
SOURCE DE RIDICULE
Un homme d'esprit, qui voit un jeune
homme se porter, comme à un plaisir, à
une chose qui, réellement, l'ennuie, a
une occasion superbe de se moquer de
lui car l'ennui transpire, il se voit. Au
contraire, rien ne donne un air plus respectable
à un jeune homme que de le voir
s'abstenir d'une action qui plaît à tous
les jeunes gens, uniquement parce qu'elle
l'ennuie.
Il n'y a que l'exception de la mauvaise
honte.
Rien n'est ridicule comme de voir
Charles, âgé de vingt ans, qui prend un
plaisir qui l'ennuie, pour imiter son ami
Adolphe, âgé de vingt-huit ans, jeune
homme de bon ton qui, dans le fond,
s'ennuie aussi de cette chose. J'ai vu un
homme de quarante ans faire rire toute
une société pendant six mois, de la prétention
de Charles et d'Adolphe.
Faire un samedi, jour par jour, lundi,
mardi, etc., la liste de toutes les actions
qu'on a faites, comme amusantes, dans
la semaine, et se demander (mauvaise
honte à part) : Ai-je eu du plaisir réellement
?
P.-S. Remettre sous enveloppe au
n° 63
19 octobre 2012
"Coin tossing. No one can tell which way a penny will fall; but we expect the proportions of heads and tails after a large number of spins to be nearly equal. An experiment to demonstrate this point was performed by Kerrich while he was interned in Denmark during the last war. He tossed a coin 10,000 times and obtained altogether 5067 heads; thus at the end of that experiment the proportion of heads was .5067 and that of tails .4933."
In Principles of Statistics, M.G. Bulmer.
Deux choses -- l'humanité peut être bien attachante. Et qu'est-ce que c'est pratique un ordinateur pour les simulations.
Je suis allée chercher Kerrich sur Wikipedia. Il y a un article, peut-être éphémère parce que quelqu'un a signalé en février 2012 qu'il ne répondait pas aux critères de notabilité de Wikipedia, et que c'était un orphelin ; mais pour l'instant il y est. Apparemment, Kerrich a aussi fait des expériences avec une pièce biaisée, et des balles de ping-pong pour démontrer le théorème de Bayes.
Dans le même genre, Pilates a inventé la méthode qui porte son nom quand il était détenu.
Parfois à force de courir après le temps, je sombre dans des rêveries oiseuses (sans conviction, certes) de long séjour en détention -- confortable, à la Charlie Chaplin dans les Temps Modernes -- pour être tranquille et lire les livres de ma liste, étudier la musique mieux, tout ça. Ce serait déjà plus réaliste d'aller m'enfermer dans un monastère en Italie.
6 juillet 2012
Je descends voir le doorman.
- Bonjour, j'ai une ampoule qui a grillé dans le couloir de mon studio. Vous n'auriez pas un escabeau que je pourrais emprunter ?
- Oui, mais on ne peut pas vous le prêter. Vous comprenez, s'il vous arrive un truc, on est responsables.
- Vraiment ?
- Il faut que vous remplissiez une "demande d'intervention" et quelqu'un viendra dans votre appartement dans les 48 heures.
- Une demande d'intervention ? Que quelqu'un vienne, pour changer une ampoule ?
- S'il vous arrive quelque chose sur notre escabeau, vous pourriez poursuivre NYU en justice, et ils veulent éviter ça. Donc il faut que vous remplissiez une demande d'intervention.
Ah, la vie aux US.
5 juillet 2012
Le cerveau est un miroir intraitable. Si je dis "j'aimerais bien
parler parfaitement allemand," mais que je m'y mets mollement, ou
pas assez régulièrement -- avec le brusque élan des velléitaires
impulsifs qui font quatre heures un jour puis plus rien le reste de la
semaine, au lieu du lent travail de sape par lequel on apprend, comme
la goutte creuse la roche... Mes neurones s'en contrefichent.
Use it or lose it! Les connexions
qui se font et se défont reflètent la réalité de l'intention, à l'épreuve
des jours et de l'assaut permanent des choses qu'on doit caser dans son
emploi du temps -- pas de bons points pour les voeux pieux.
Bien sûr on n'oublie pas comment tenir sur un vélo, mais en général,
"vouloir" garder un talent patiemment appris sans incarner ce désir dans
ses activités régulières, revient à signaler à son cerveau qu'il ne s'agit
que d'une promesse électorale. En technocrate efficace, il n'en tient
aucun compte, et après on se désespère de voir s'effriter son savoir.
PS : en fait en Argentine à part l'anomalie du supermarché et quelques boutiques, ils ne jurent
que par les espèces. Un peu partout on a une remise conséquente quand on paie
cash.
21 mai 2012
Je m'étais interdit d'écrire sur cette page jusqu'à ce que ma thèse soit
écrite envoyée soutenue ; une façon de contrer le besoin soudain de se
lancer dans n'importe quoi quand on a un grand projet à finir. Quel meilleur
moment pour se mettre au swahili ? Ou, comme disait Jason dans son papier
canular, "note how many people learn to juggle around exam time."
Il a aussi fallu que
je m'occupe d'obtenir mon nouveau visa avant le mois de Juin. J'avais
dû attendre la toute fin avril pour avoir le DS-2019, et le timing
était donc assez serré pour organiser un petit voyage-visa -- parce
qu'il faut sortir des US pour obtenir un nouveau visa, dans une ville
avec un consulat. Ma soutenance de thèse prévue le 17 mai,
je comptais faire ça la dernière semaine de mai. Les billets
d'avions pour Paris étaient exorbitants ; j'irais donc ailleurs,
mais où ?
J'ai regardé les villes avec des consulats. Buenos Aires ! J'ai tant
d'amis qui y sont allés et ont adoré. Même des non-danseurs de tango.
Le site officiel
du department of state donnait 2 jour d'attente pour un rendez-vous,
2 jours de processing time. Mieux qu'à Paris (11 jours d'attente
pour le rendez-vous), pareil qu'à Toronto. Et puis ça ferait
exotique d'avoir un visa obtenu à Buenos Aires, à côté de
mes deux visas parisiens J1 et F1, et mon visa B1 bruxellois.
Mais la responsable administrative à NYU m'a déconseillé
ma fantaisie, elle a fait la moue pour Mexico et Buenos Aires
et m'a dit, va au Canada, ils sont plus sérieux. Bon. J'ai dit
adieu à mes rêves d'aller plus au sud et fait les démarches
pour Toronto.
Les procédures pour le visa ont changé, maintenant il faut tout
remplir en ligne. C'est plutôt mieux -- mais on ne peut pas prendre
de rendez-vous tant qu'on n'a pas fini le formulaire, et payé les
frais du visa. Et surtout, on n'a pas accès au calendrier des
dates disponibles jusqu'à ce moment.
Pour les consulats au Canada, le paiement des frais de visa se fait
par carte bancaire, ce qui est très commode -- en France il faut
un mandat, à Bruxelles c'est un virement. J'ai payé sans problème,
tout allait pour le mieux, j'ai enfin pu choisir mon rendez-vous.
Le calendrier s'ouvre, et je découvre avec horreur qu'il y a juste
deux dates disponibles à Toronto, deux lundis, tous les deux avant
ma soutenance. J'avais déjà payé, je pouvais changer de consulat
mais seulement au sein du Canada, pour les autres endroits
je ne savais pas si le paiement fait pour le Canada serait transmis.
J'ai regardé Montreal : aucune date, zéro, le site du department of
state raconte n'importe quoi. Ottawa quelques dates, mais les
billets d'avion étaient très chers.
Je me suis donc résignée à prendre rendez-vous pour le lundi suivant
à Toronto, j'ai pris le train pour y aller -- 12 heures, mais très agréable.
De nos jours le voyage en train paraît bien plus civilisé que la même chose
en avion, on a de la place, on ne fait pas la queue partout pour la sécurité,
et les gares sont en centre-ville.
Je passais mes journées dans une chambre sans charme dans la banlieue
de Toronto, l'hôte parlait juste Mandarin. Très bien pour écrire
sa thèse. J'ai émergé juste pour mon
rendez-vous au consulat, l'officier consulaire m'a dit que j'aurais
le visa dans mon passeport dans les 2 jours et que je serais très certainement
de retour à New York le jeudi ou le vendredi.
J'ai fini d'écrire ma thèse, la charmante Katry que je n'avais pas
vue depuis des années m'a très gentiment proposé de venir chez elle
et j'ai passé quelques jours délicieux en sa compagnie, à regarder
des documentaires toute la journée parce qu'il y avait justement
un festival international du documentaire (ça s'appelle Hot Docs)
à Toronto jusqu'au dimanche, et les billets étaient gratuits pour
les étudiants dans la journée. J'ai vu des trucs très bien --
en particulier, "The revisionaries" sur l'éducation au Texas,
un film hilarant qui glace le sang. Les questions-réponses avec
le réalisateur après le film étaient très intéressantes ; il
nous a dit que le principal personnage du film, un dentiste
qui explique à ses patients que l'évolution c'est n'importe quoi
pendant qu'il leur vrille des trous dans les dents,
avait adoré le film. Il sort des perles tout le long -- par exemple,
demandant à ce que "hip-hop music" soit remplacé par "western
country music" dans les exemples de la culture aux US. Il
explique comment il a lu la Bible, et dès lors il savait en
son âme et conscience que tout cela était vrai, donc il veut
que les bons petits enfants du Texas aient accès à cette vérité.
Sa sincérité et son manque total de cynisme le rendent sympathique,
malgré son influence néfaste sur l'enseignement au Texas --
il est tellement indigné quand le groupe pro-science semble
gagner du terrain qu'il en perd ses mots et suffoque de colère.
De voir de si bonnes intentions créer des monstruosités dans
l'éducation fait bien de la peine.
Aussi, pendant la projection au Texas,
les gens ont applaudi à la fin quand il est dit que Cynthia
Dunbar, prof de droit à la Liberty University, ne s'était
pas représentée au Board. Elle fait très peur dans le film ;
elle apparaît comme une fanatique religieuse qui ne recule
devant rien pour que ses vues deviennent le texte officiel
des livres de classe au Texas, et qui veut retirer
l'éducation des griffes de l'administration séculaire pour
la rendre au giron de l'Eglise. Le public a applaudi -- et
elle était assise à côté du réalisateur. Ca a dû être
un moment un peu gênant.
Un autre documentaire qui m'a marquée s'appelle "The ambassador",
un film de Mads Brugger où il achète une (vraie) charge
de consul du Libéria en Centrafrique pour faire du trafic
de diamant, filmant et enregistrant ses interlocuteurs
en caméra cachée. Le film est loufoque et offre une vue
de l'intérieur de la corruption à tous les étages, chez
les diplomates européens aussi bien que les locaux.
La France ne s'en sort pas très bien.
J'ai vu aussi une master-class de Mischa Maisky, passant
par hasard devant un magasin de musique où il était
invité le soir-même, j'ai dansé la salsa dans une grande
église où il y avait une "salsa practice" chaque samedi
après-midi -- passant là aussi par hasard au bon moment.
Les gens étaient très sympathiques, mes vieux restes
de salsa n'avaient pas trop rouillé, et j'ai beaucoup
aimé danser avec un certain Joe qui avait l'air indien.
Mais toujours pas de passeport.
Cela commençait à faire longtemps, il fallait que je
travaille ma musique.
J'ai donc commencé à rôder autour du bâtiment de musique
de l'université de Toronto, trouvé de bonnes âmes pour
me faire rentrer pour que je puisse travailler un peu.
Je suis allée à l'opéra voir Gianni Schicchi et un
opéra de Zemlinsky que je ne connaissais pas, sur une pièce d'Oscar
Wilde, "A florentine tragedy." Une femme est dégoûtée
de son mari et songe ouvertement à le tromper avec
un noble local qui lui fait la cour dans son propre
appartement devant le mari. Finalement ils se battent,
la femme veut que son duc tue le mari, mais le mari
maîtrise et va achever le duc qui appelle la femme à l'aide,
elle est comme pétrifiée et ne vole pas à son secours,
exit le duc et reste le mari. "Je ne savais pas que tu étais
si fort", lui dit-elle ; et lui, "je ne savais pas que tu
étais si belle". (ce n'est pas moi qui résume, c'est vraiment
le texte. Le public a rigolé à ce moment). Et ils s'embrassent.
Mouais.
En tout cas les gens s'habillent très bien pour aller à l'opéra
à Toronto, rien à voir avec New York. Tout le monde était
bien sapé. Moi j'arrivais avec mes jeans tennis et mon sac
plastique contenant mon dîner -- je n'avais rien à me mettre,
j'avais prévu des affaires pour deux jours, pas dix !
Finalement le passeport a fini
par réapparaître, il fallait aller le chercher dans une
antenne de DHL loin de tout en prendant trois bus --
c'eût été bien trop simple de nous permettre de
retirer les passeports au consulat comme cela se fait à
Bruxelles.
Mais du coup j'ai ces dix jours entre ma thèse et mon post-doc.
J'avais toujours Buenos Aires dans la tête, j'ai pris des billets,
trouvé un appartement dans Parlermo, et je suis retournée préparer
ma soutenance sans préparer mon voyage plus que ça.
M'y voilà donc, depuis hier matin. Pour l'instant je m'y plais
beaucoup. L'appartement où je suis a un vieux chauffage à gaz
très dur à allumer, l'eau coule mal et s'écoule quand elle
veut, mais ça va. Les gens sont très accueillants ici ; à
une danse folklorique où un ami d'amie m'a emmenée le premier soir,
tout le monde était très souriant et semblait heureux, c'était comme
une kermesse d'école pour adultes. Quatre ou cinq
musiciens jouaient, installés dans la cage de buts comme la fête
se déroulait dans un gymnase. Il y avait
peu de jeunes, surtout de vieux couples qui dansaient ensemble avec
un enthousiasme infatigable.
Très vite je me suis retrouvée à danser avec un Hernan inconnu des
danses que je ne savais pas danser (on copiait sur le couple d'à côté),
les filles de son groupe me faisaient la bise en partant même si elles
ne m'avaient jamais vue, et quand je suis partie pour rentrer dormir
nous nous sommes dit au revoir d'un rapide signe de la main avec un
grand sourire. Cela dit la plupart des autres "mâles argentins"
que j'ai rencontrés se comportent très différemment, ils draguent
comme des fous. Même le vieux chauffeur de taxi édenté qui a une
soixantaine d'années me demande mon numéro de téléphone pour qu'on puisse
aller dîner ensemble. Un Argentin avec qui j'ai dansé hier à la milonga
me donne sa carte, me disant qu'il fabrique de la lingerie féminine,
si ça m'intéresse. Cela me rappelle Rome, ils essaient sur tout ce qui
bouge, dans le tas il va bien y en avoir une sur qui ça marche.
Ici, les transactions financières fonctionnent un peu à l'envers
des pays que je connais. Il y a une guerre de la petite monnaie. Il en faut pour prendre
le bus -- et d'après Wikipedia la monnaie vaut plus que ce qui est
imprimé dessus, alors les gens la gardent pour la revendre à des ferrailleurs.
Plus de la moitié des cas où j'avais un achat à faire avec quelques centimes au-delà
du prix entier, le marchand arrondit au prix en-dessous plutôt que de me donner
des pièces quand je dis que je n'ai pas de monnaie.
Sur le ticket de caisse ça apparaît comme "descuento redondeo/bonif." pour bonificacion.
Utiliser une carte de crédit est bizarre aussi. La première fois
que j'ai fait mes courses au supermarché, j'ai voulu payer avec ma carte
bancaire pour ne pas user mes réserves de pesos -- d'un coup j'obtiens une réduction
de 15%, juste parce que c'est une carte bancaire. J'ai vu cela dans d'autres magasins, 20%
même.
Et ils veulent relever le numéro de passeport ou de carte d'identité à chaque fois.
Prendre le bus est très drôle. Il y a une petite bible de bus qu'on consulte
pour savoir quel bus prendre. Il faut regarder le quartier de départ, celui d'arrivée,
chacun a une liste de bus qui y passent en regard ; après il faut trouver une ligne
commune entre les deux, puis consulter l'itinéraire du bus en fin de guide pour trouver
sur quelle rue exacte le bus passe ; c'est le bazar mais on y arrive et ce n'est pas cher
du tout. Chaque bus est
décoré différemment donc ils se reconnaissent de loin.
Je n'ai pas encore mangé de steak mais j'ai hâte d'essayer.
5 janvier 2012
Bonne année ! 2012. 1984, 2001, maintenant 2012. Cela a fini par arriver.
Pas la fin du monde malgré ce qu'en disent
certains, mais,
pour moi, 2012 c'était l'année que je donnais depuis toujours pour dire "dans très
longtemps, voire jamais." Et nous sommes en 2012. Je m'attendrais presque à ce que
les poules aient soudain des dents. D'ailleurs, peut-être qu'elles en ont maintenant,
je n'ai pas pu vérifier, je n'en ai pas sous la main.
30 décembre 2011
Pendant que j'étais à Paris, j'ai écouté plusieurs fois le requiem de Fauré, que
j'aime beaucoup.
Plusieurs jours, jusqu'à New York,
la musique a continué à m'accompagner ;
j'entendais le Lacrimosa partout, sans y prendre garde, en sourdine à l'arrière de
mes pensées.
Mais tout de même, la puce a fini à l'oreille --
le Lacrimosa ? Il n'y a pas de lacrimosa dans le requiem de Fauré. Il a sauté ce
passage (tout le Dies Irae, en fait).
Qui, alors ?
A mon grand embarras, je suis parfois nulle pour reconnaître les compositeurs et les époques,
je peux faire des confusions monumentales ; alors ça aurait pu être difficile de retrouver
le compositeur juste à partir de la mélodie qui me trottait dans la tête. Il n'y a pas un
mois j'ai été complètement incapable de trouver d'où venait la mélodie si familière que
fredonnait un ami (c'était Shéhérazade de Rimsky-Korsakov, qui avait servi de musique pour
le ballet de fin d'année du conservatoire il y a peut-être quinze ans) ; même quand il a
mis la musique sur son iPhone. Mais pour un
requiem on peut faire par élimination. Certainement pas Mozart, je le connais trop bien
On l'a chanté au concert du lycée quand j'étais en spé, entre autres ; de toute façon ça
a très tôt été une de mes oeuvres préférées alors je l'ai écouté sans doute des centaines de fois.
Ce ne peux pas être le requiem allemand de Brahms, forcément (le requiem allemand est en allemand,
comme son nom l'indique, pas en latin). Britten, pas possible. Berlioz, je ne l'ai jamais entendu
(je crois). Dvorak, je l'ai entendu une fois tout au plus. Reste Verdi, parmi les requiems dont je
connais l'existence (Google dit que c'est
ça le pluriel). Verdi ? Oui, Verdi, voilà, un tour sur Youtube confirme que c'était bien le lacrimosa
du requiem de Verdi.
Quelle étrange bête le cerveau. A une époque j'écoutais tout le temps le requiem de Verdi
(j'aime vraiment les requiems, oui), mais ça
fait au moins un an. Pourquoi est-ce que le requiem de Fauré m'a mis dans l'oreille celui de Verdi ?
29 décembre 2011
Je n'ai pas réussi à savoir hier si le truc de danse hebdomadaire auquel je voulais
aller était maintenu ou non, en cette période d'entre-deux réveillons ; entre
un site web updaté tous les six mois (un peu comme ici) et un groupe yahoo aux
messages capricieux, la réponse la plus précise que j'aie eue est un email
délicieusement vague : "I think there's a good enough chance that you should try to make it
if
you're interested." Google ayant plus ou moins remplacé le bouche-à-oreille, c'est plutôt rafraîchissant.
Mais entre temps j'avais déjà dit à un ami que j'irais avec lui danser dans un bar qui avait du blues ;
ça s'appelle Kenny's Castaways, et c'est juste à côté du labo.
Le temps que j'arrive, tout le monde avait déménagé au bar d'à côté ; apparemment un des leads avait
un sabre et les gens à KC ne servent pas les gens qui ont des sabres. Allez savoir.
Nous avons dansé un peu, il n'y avait
pas beaucoup de place mais une bonne ambiance. Celui qui m'avait invitée est parti assez vite,
je suis restée avec d'autres gens que je connaissais des soirées blues du vendredi -- cette année
j'y vais presque chaque semaine ; je me suis attachée à cette soirée dans l'arrière-boutique
d'un vendeur de carrelage. Un ancien speakeasy, m'a-t-on dit.
Les trois personnes avec qui j'étais ne connaissaient pas mon prénom, ni moi le leur. J'ai épelé.
L'un d'entre eux s'est écrié, "ha! you're the why dash!" Yes, I'm the why dash. Ils avaient vus mon
nom sur les invitations Facebook, mais je suis à moitié cachée sur ma photo profil alors on ne me remet
pas facilement.
Ici tout le monde prononce spontanément
"why lan". On doit se dire que je m'appelle Yolande Landrieux et que j'écris ça "Y-Lan" comme Jennifer
Lopez "J-Lo".
27 décembre 2011
Je glisse quelques lignes in extremis avant que 2012 arrive. J'aurais envie d'écrire un grand post sur l'obsolescence programmée ; mais je veux surtout reprendre mes habitudes ici et le plus simple est de commencer par juste quelques mots, pour vite balayer sous le tapis la date précédente. (Merci à C. pour l'encouragement).
En attendant, regardez prêt-à-jeter sur Youtube.
9 août 2011
Ils sont deux. Je devrais les aimer autant, j'ai un préféré.
Mes chats, mes petits chats temporaires qui venaient avec l'appartement de San
Francisco au bord de la mer et les roommates. Chaque soir quand je rentre,
ils m'attendent, me grimpent dessus. Mon beau chat vient mettre sa tête
dans le creux de mon épaule, j'enfouis les doigts dans sa fourrure soyeuse et
écoute ses ronronnements. Mais bientôt l'autre chat met ses pattes sur mes genoux. Il me
regarde d'un air implorant. Il veut un câlin. Je lui abandonne aussitôt une main,
il frotte sa tête contre, puis il me regarde de nouveau. Je vois dans ses yeux
qu'il sait que je préfère l'autre, les gestes sont les mêmes mais ils viennent
après une hésitation, ou avec un empressement coupable. Ce n'est pas grave, il
se contente des restes, du moment que je le laisse se lover contre moi avec ses
yeux tristes. Et le préféré me reproche le peu que je donne à l'autre, alors
parfois il s'en va. Ou il montre les dents avec un feulement odieux, qui envoie
le pauvre timide
galopant à l'autre bout de l'appartement. Je voudrais le gronder, mais
il me cajole et appuie ses petites pattes toutes douces sur mon cou, puis pose
doucement son museau humide sur ma joue. Je fonds
dans l'indulgence et la mauvaise conscience.
Comment font-ils, les polygames ?
31 mai 2011
Avant-hier le soir était très doux. Du balcon de la cuisine,
je regardais le soleil se cacher derrière la Tour Eiffel
devenue plus élégante sur le fond orange. Une brise agréable
me soufflait dans les cheveux, mes chers petits oiseaux, des
martinets je crois, tournaient dans le ciel avec leur adresse
habituelle, et comme souvent je me disais que j'aimerais bien
pouvoir planer comme ça ;
on n'entendait que leurs cris et un peu de guitare quelque part,
jouée délicatement comme pour ne pas déchirer le calme du soir.
Vers le nord, le Val de Grâce et le Panthéon avaient un côté
doré, l'autre plongé dans l'ombre ;
une lumière plus rose s'accrochait au dessous de nuages
tout fins, des cirrus si j'en crois mes vieux souvenirs
de la page spécial nuages du journal de Mickey. Ca
disait que les cirrus annoncent le beau temps.
Le beau temps, encore, toujours
le beau temps. Je n'avais jamais connu l'angoisse sourde
de la pluie qui ne vient pas. Même dans la sérénité
de cette soirée je sentais une peur diffuse que l'abondant feuillage
que je voyais jaunisse bientôt, je guettais les changements
de couleur, est-ce que ce vert n'est pas moins sombre, moins
bleuté qu'hier ? Ce temps magnifique qu'on aimerait voir
toujours sur Paris, est peu à peu devenu oppressant.
Hier en montant me coucher dans ma chambre de bonne
tard dans la nuit, j'ai vu le vasistas rayé de pluie,
et j'avais envie d'aller danser dehors sous les gouttes tant
j'étais heureuse.
10 mai 2011
Ces gens qui écrivent "des solis."
1er avril 2011
Je viens de tomber sur une video Youtube de Yo-Yo Ma jouant
Elgar. Sous la direction de Barenboim. Je me demande comment
il fait pour conduire ça ; bien sûr, ça fait 40
ans qu'il l'a joué avec Jacqueline. Mais j'aurais cru que 40 ans
n'auraient pas suffi, vu l'intensité
brûlante de leur relation, leur bonheur tout jeune saigné à vif par la tragédie,
et l'identification presque surnaturelle
de Jacqueline avec la musique de son violoncelle.
Je suis hantée
par son Elgar à elle, il m'empêche d'aimer celui de Yo-Yo Ma, même
si je suis théoriquement contre l'idée des interprétations
"définitives", on dirait qu'on momifie une oeuvre.
Dans le livre de ses frère et soeur, est raconté un épisode d'une
célébration en son honneur, trois mois après sa mort. Zubin Mehta
(qui a dirigé son dernier Elgar à Londres en 1973, gravé sur un disque
du label Madrigal, très dur à trouver -- j'aimerais vraiment l'écouter,
mais impossible de mettre la main dessus) devait dire quelques mots,
il commence à lire ce qu'il a préparé, puis s'interrompt :
"I can't continue to read what I've written. Everything
I want to say can be told in this story. Recently, I was conducting
the Elgar concerto in New York. Toward the end of the third movement, I
just couldn't conduct anymore. The cellist looked up and said, 'You're
thinking of her aren't you?' 'Yes,' I replied. The thought of Jackie
playing with me in London for the last time in 1973 completely overwhelmed
me. At that point I knew I could never conduct the Elgar again. There was no one
like Jackie and no one could replace her."
Il serait absurde de voir là l'aune à laquelle mesurer l'attachement à Jacqueline,
chacun fait son deuil à sa manière.
Etre capable de rejouer le Elgar (ou de faire des bébés avec quelqu'un d'autre)
ne diminue en rien la fidélité de Barenboim à
Jacqueline -- qui est en mesure
de juger ses actes, ses pensées, quand il est impossible de se mettre
à sa place, de savoir ce qu'il a traversé ? Cela me surprend, c'est tout.
8 mars 2011
On dira ce qu'on voudra, que les appels en hologrammes 3D
c'est pour bientôt et tout et tout, ça ne résout
pas le problème principal du télé-tout -- l'impossibilité
de renifler, de toucher (au sens propre, caresse ou coup de poing)
la personne.
6 mars 2011
Pour revenir à Seligman - dans son livre il mentionne une expérience
dont il a fait partie, menée par Rosenhan, racontée dans un article de
Science de 1973, "On being sane in insane places." 8 pseudo-patients, dont
Rosenhan et Seligman, ont été admis dans des hôpitaux psychiatriques,
avec une déconcertante facilité vu le vague des symptômes dont ils
se plaignaient. Le personnel, dans leur grande majorité, n'était pas
au courant. Une fois sur place, ils devaient se comporter normalement
et ne plus se plaindre d'entendre des voix ou quoi que ce soit d'autre.
De nombreux patients de l'hôpital les ont repérés tout de suite, mais
pas le personnel de l'hôpital ; il a fallu en moyenne 19 jours pour qu'ils
soient autorisés à sortir, reconnus "en rémission" (pas "sains" ou "guéris",
faut pas rêver)
d'un diagnostic initial de schizophrénie.
Je ne savais pas que cette expérience avait été tentée pour de vrai. Le sain
d'esprit pris pour fou parmi les fous dans un asile est un thème qu'on voit
souvent en fiction ; il y a
un conte de Gabriel Garcia Marquez que j'avais lu il y a longtemps,
qui raconte comment une femme est emprisonnée dans un hôpital psychiatrique
après avoir cherché à téléphoner. Je crois que ça s'appelle "je voulais
seulement téléphoner," que c'est un des Douze contes vagabonds, mais je
ne suis pas sûre. C'est aussi un filon populaire pour les soap opéras.
En vrai c'est moins terrifiant bien sûr - après tout ils ont tous
été autorisés à sortir, après au plus 52 jours (!). Mais ça n'est
quand même pas très réconfortant. Beaucoup de leurs faits et gestes,
de détails de leur passé, étaient réinterprétés comme corroborant
le diagnostic de schizophrénie.
Mais du moment qu'on ne se fait jamais coffrer dans un hôpital psychiatrique,
pas besoin de se faire du mouron, n'est-ce pas ? On ne sera pas confronté
au genre d'échanges décourageants rapportés dans le papier : le pseudo patient demande,
"Pardon me, Dr.X. Could you tell me when I am eligible for grounds privileges?"
Le docteur répond : "Good morning, Dave. How are you today?" Puis s'éloigne
sans attendre de réponse. Ou bien si ? Cela me rappelle une journée d'il y a
maintenant un peu plus d'un an et
demi, je crois, dans
une maison de convalescence ordinaire. Un lit de la chambre était occupé par
une personne très âgée, qui passait le plus clair de son temps à dormir.
L'infirmière passe dans la chambre, la personne se réveille et lui réclame
"mon ventilateur, donnez-moi mon ventilateur." L'infirmière, toute gentille,
lui explique qu'il n'y a pas de ventilateur. "Mais si voyons, il est là
contre moi, je le sens, donnez-moi mon ventilateur." L'infirmière, toujours
douce et patiente, lui redit qu'il n'y a pas de ventilateur. Je me dis
que ça ne doit pas être facile d'être confronté toute la journée à des
gens qui n'ont plus toute leur tête et racontent n'importe quoi.
Obstinée, en plus ; elle élève la voix, maintenant : "Mais si ! Puisque je
vous dis que je le sens contre ma jambe ! Là, sous la couverture,
regardez dessous !" L'infirmière comprend qu'elle ne va pas avoir la
paix si facilement, pousse un minuscule soupir et se rapproche du lit pour soulever
la couverture. "Là, vous voyez, pas de ventilateur." Puis elle a replacé
la couverture. Mais de là où j'étais,
assise près du lit d'à côté, j'avais eu le temps de voir un petit éventail contre la cuisse
de la vieille femme. Je l'ai dit à l'infirmière, qui a enfin pu
donner à la patiente l'objet qu'elle voulait ; elle ne divaguait pas,
s'était juste trompée de mot, et puis si elle avait été anglaise
ça aurait été "fan" dans les deux cas donc ce n'est pas si mal.
Mais l'infirmière et moi avions tout de suite catégorisé la vieille
femme comme "gâteuse," et ne prêtions pas réellement attention à ce qu'elle
disait. Ne plus avoir son autonomie physique, et être entouré de
gens qui croient volontiers qu'on débloque si on ne fait pas
preuve d'une précision parfaite, c'est un cauchemar bien réel pour
sans doute beaucoup de gens, et qui en attend encore beaucoup d'autres.
5 mars 2011
Le concept de "signes" exerce une fascination dont il est assez
difficile de se dépêtrer, aussi rationnel soit-on. Il est tentant de
lire les coïncidences comme une confirmation venue
d'en haut qui nous dit à la fois que le grand patron, kiki qu'il soit,
a assez de temps pour garder un oeil bienveillant sur notre destinée,
et que nous sommes en train de prendre la bonne décision ou de nous
engager dans le bon chemin. Quel repos bienvenu des affres quotidiennes
des choix qu'on fait en ayant le quart du tiers des informations
nécessaires, ou, pire peut-être, qu'on n'arrive justement pas à
faire parce qu'on est paralysé par la possibilité d'avoir
ouvert la mauvaise porte.
Chacun a connu de ces coïncidences
totalement invraisemblables,
trop même pour ces bluettes télévisuelles de l'été qui ont pourtant
une tolérance très extensible pour les grosses ficelles. Que faire
d'elles quand elles se découvrent dans un contexte où on est certain
que, non, il n'y a rien à voir au bout de la voie qu'elles bordent ?
Si mon voisin,
appelons-le Augustin Moirac pour me sortir ce nom de la tête (merci papa),
possède exactement le même assortiment de produits ménagers,
a le même nombre de chats, et leur a donné les mêmes prénoms que moi,
mais qu'en dehors de cela il n'y a absolument rien qui nous donne
envie de devenir proches ? Ou encore, les coïncidences qu'on découvre
longtemps après la bataille, quand le temps a parlé, et définitivement
classé comme insignifiant un événement qui à l'époque avait semblé prometteur.
Si l'on avait su, alors, est-ce qu'on n'aurait pas cru encore plus, pour
se planter ensuite encore plus royalement ?
Il y a aussi les cas de vraix-faux signes, où on croit en lire,
et en fait non, et puis finalement si mais ça n'a rien à voir
avec les signes, juste avec une profonde nécessité qui émerge par
elle-même, et heureusement qu'on ne s'est pas laissé décourager par
les signes menteurs. Brahms, isolé à Hambourg et peinant à se faire un
nom, apprend en 1850 que le grand Schumann est de passage en ville. Est-ce le
moment tant attendu, la rencontre qui va le hisser hors de l'obscurité ?
Il envoie à son hôtel une sélection de ses compositions. Schumann
renvoie le paquet non ouvert. Raté. Trois ans plus tard, Brahms
a l'occasion d'étudier de nombreuses partitions de Schumann chez
une famille de riches mécènes. Il y trouve une sensibilité musicale
si proche de la sienne qu'il surmonte sa réticence à frapper à la
porte qu'on lui a déjà si violemment claquée au nez, et se présente
chez les Schumann. Schumann écrit dans son journal ce jour-là,
"Visite de Brahms, un génie." S'ensuit l'intimité que l'on sait ;
rien de magique là-dedans, juste l'affinité de deux immenses talents.
Pied-de-nez magistral aux signes.
(Tiens d'ailleurs je suis en train d'écouter
deux de ses sonates pour violon par Oistrakh et Richter, un vieux CD
du label russe Melodia, avec aussi la sonate de Franck que j'aime tant,
je vous le recommande).
4 mars 2011
Le vieux mythe de la pomme de la connaissance causant
l'exil des humains hors du Paradis me faisait sourire, quand j'étais en
primaire. La connaissance est bonne, apprendre est merveilleux,
quel est ce paradis saugrenu qui n'accepte que les imbéciles heureux ?
Il faut bien se rendre à l'évidence, cependant (au sens anglais,
presque). La connaissance peut être vénéneuse, ce n'est pas le bien en soi.
Prenons le cas du placébo, par exemple ; l'efficacité miraculeuse du remède disparaît
si on sait qu'on est en train de se soigner au sucre en poudre. L'ampleur
de l'effet placébo me sidère ; c'est une arme importante dans l'arsenal
médical, et je suis toujours mal à l'aise quand on attaque trop violemment
des charlatans qui ont beaucoup de succès - certes, ce sont des escrocs,
mais ce n'est pas donné à tout le monde
d'avoir assez de charisme pour créer un effet placébo, et cela
les rend précieux.
Ou le travail sur le "depressive realism", d'Alloy et Abramson.
Voilà un morceau d'un livre de Seligman (qui a développé avec Steve Maier la théorie
de la learned helplessness), "What you can change... and
what you can't" -- il raconte l'expérience d'Alloy
et Abramson, dans laquelle des dépressifs et non-dépressifs
ont accès à des interrupteurs qui contrôlent une lumière de
façon plus ou moins fiable :
"The people in both groups were asked to judge, as accurately as
they could, how much control they had. Depressed people were very
accurate. When they had control, they said so. The nondepressed
people astounded Alloy and Abramson: These subjects were accurate
when they had control, but when they were helpless, they were
undeterred - they still judged that they had a great deal of
control. The depressed people knew the truth. The nondepressed people
had benign illusions that they were not helpless when they actually
were. [...] In a follow-up study, Alloy found that nondepressed
people who are realists go on to become depressed at a higher
rate than nondepressed people who have these illusions of control.
Realism doesn't just coexist with depression, it is a risk
factor for depression, just as smoking is a risk factor for
lung cancer."
Déprimant, non ? Je n'ai pas lu son "Learned optimism", mais
je me demande comment il mène son affaire, sachant qu'il y a tout
un chapitre sur le "depressive realism", mais que le message du
livre (argumenté par de la science solide)
est qu'il est possible de créer chez soi un optimisme
sain qui rend plus heureux et plus productif.
18 février 2011
19 degrés aujourd'hui, et pourtant il est tombé tant de neige depuis
Noël que les icebergs les plus coriaces n'ont pas fondu encore.
Jamais la neige n'avait fait partie de mon paysage quotidien
pendant tant de semaines.
Mais la résistance s'épuise, et les vieux blocs grisâtres qui
rappellent plus le béton que leur ancienne splendeur immaculée
semblent tout près de se disparaître de sous la saleté qui
les couvre.
16 février 2011
L'homme redouté apparaît sur la scène avant le début d'Iphigénie en Tauride.
- Unfortunately, Mr. Domingo has a cold tonight.
- Ouuuuuh! Noooo! Aaaah! Booooh!
- Happily, he will still sing tonight.
- Yeeeees! Weeee! Yoooohooo!
Ce large public qui ne fait parfois qu'un seul homme.
29 janvier 2011
A part les Captchas qui font de l'OCR humaine (un des mots est connu
de l'ordinateur et sert à vérifier que vous êtes humain. L'autre
est un mot difficile sur lesquels les algorithmes d'OCR se sont
cassé les dents, alors l'ordinateur se sert de votre expertise
humaine fraîchement vérifiée pour s'offrir un datapoint), le
web ne met pas tellement les humains à contribution pendant
leur temps de surfing. A la place on se fait inonder de pubs,
de pop-ups qu'il faut fermer ou regarder dix secondes avant
de pouvoir accéder à la page qu'on veut. Je préférerais
nettement qu'on me fasse travailler trois secondes en
me faisant étiqueter une image ou une action de vidéo, ou en
me soumettant n'importe quel autre de ces micro-jobs qui
sont crowd-sourcés à tour de bras sur Amazon Mechanical Turk.
Tout le monde ne peut pas avoir le talent de Luis von Ahn
pour inventer des petits jeux addictifs mais utiles comme l'ESP Game
(deux joueurs ont la même image et doivent donner des labels,
et le but du jeu est de donner le même que l'autre joueur
de l'autre côté du Web. Comme ça les labels sont cohérents
et on a plus de chance d'avoir des labels de qualité.
Cela dit, parfois les labels ne vont pas beaucoup aider
la vision artificielle ; par exemple quand
Luis von Ahn avait donné son talk "Human Computation" à nips,
il avait montré une photo de Bush, et les labels trouvés
fréquemment donnaient, "Bush", "George", "President",
"Man", "Dumb", "Yuck".
Si ça vous intéresse,
ici, une video d'à peu près le même talk donné à Google.).
D'ailleurs Google me dit que maintenant l'ESP game et ses petits
camarades ont été rebaptisés "gwaps", pour "games with a purpose".
L'ESP game a beaucoup plu aux gens ; ils y trouvent "a weird
and beautiful sense of anonymous intimacy" (ce qui pourrait
se dire de beaucoup des activités internet. C'est un peu cela
qui me faisait hanter les chat rooms le soir quand j'avais quinze
ans). Ils trouvent le jeu "strangely addictive" (ou, incidemment,
que ça les aide à apprendre l'anglais).
Mais même si on n'arrive pas à packager la tâche qu'on veut
faire faire aux foules dans un petit jeu qui plaît, il reste
tous ces moments où on assomme l'internaute de pubs ou formulaires
avant de lui donner accès à ce qu'il veut voir. Pas besoin
que le jeu soit addictif, là, le désir de voir la page servirait
de carotte externe.
27 janvier 2011
Nouvelle abondante chute de neige ; c'était si beau hier matin de
marcher dans Prospect Park dont les routes avaient été fermées,
et pas encore ratissées. Aujourd'hui la neige a été balayée
sur le côté un peu partout, tout est plus étroit, on marche
en file indienne. J'avoue avoir été prise d'une joie mauvaise
en voyant des gens peiner à déterrer leur SUV de son joli
monticule de neige. Qu'est-ce que vous fabriquez avec un SUV
à Manhattan, people?
Rien à voir, un coup de gueule qui n'intéressera personne :
pourquoi est-ce qu'il n'y à que Konqueror
qui a le magnifique petit bouton "balayette" pour vider
le champ courant d'un seul clic ?
Quand on a l'habitude de copier-coller
sous linux avec double-clic/clic milieu, c'est très frustrant
de devoir se mettre tout à droite puis effacer toute la ligne
avec backspace (parce que si on sélectionne le champ, ça
écrit par dessus ce qu'on voulait coller, bien sûr).
C'est quand même pas sorcier de faire un bouton balayette.
Une grosse bosse à l'arrière de la tête et quelques bleus.
Me suis cassé la figure en sortant du labo, sur une belle pente
verglacée qui luisait sous la lune (du réverbère) à la sortie
du building. Ils auraient pu mettre du sel. NYU était officiellement
fermée aujourd'hui pour cause de neige, certes.
26 janvier 2011
D'ailleurs, ce que j'ai eu le plus de mal à abandonner de mon
studio d'East Village, ce n'est pas East Village, ou la proximité
à mon labo remplacée par une commute (être enfermé dans le subway
est un bon environnement pour faire ses reviews), ou les voisins
qui décoraient les escaliers avec du bric-à-brac, des affiches
et des tableaux récupérés un peu partout, et avec qui on tenait
des conseils de guerre quand le management nous a laissé plusieurs
jours sans chauffage et sans eau chaude la semaine de Noël, ou la hauteur
de plafond. Ma mezzanine bien sûr, ma belle mezzanine.
25 janvier 2011
Une pensée random : les lits ont souvent été un peu spéciaux dans ma vie.
Ca saute de bas en haut sans daigner guère s'arrêter à la hauteur-canapé.
Enfant, j'ai longtemps partagé avec ma petite soeur
un grand matelas mousse posé par terre. Ensuite sont venus nos lits superposés,
et de longues années passées sous le plafond. Simple matelas par terre de nouveau
depuis que j'ai ma jolie chambre-lit sous les toits, que j'aime toujours autant.
Lit de camp à l'intégration à l'X,
puis lit au carré pendant notre mois tous ensemble à l'armée - et ensuite, oui,
un lit normal pendant le service et dans ma chambre de l'X.
Grande mezzanine au milieu de la pièce dans mon appartement d'East Village - je l'ai
beaucoup aimée, cette mezzanine, un mignon petit chef-d'oeuvre. Et à Brooklyn,
mon grand murphy bed qui se déguise en armoire à glace quand on le replie
à la verticale.
22 janvier 2011
J'aimerais bien être une bactérie -- pouvoir passer des mois dans un bac à glaçons
au congélateur dans un cube de yaourt gelé,
puis quand le grand machin multicellulaire frileux propriétaire dudit
congélateur décide que c'est mon tour de démarrer la prochaine fournée de yaourts,
et m'éjecte d'une pichenette sèche hors de mon petit nid de plastique, atterrir dans
le bain de lait tiède fringant comme devant, et me reproduire à tout-va.
20 janvier 2011
La Traviata est l'oeuvre par laquelle mon amour de l'opéra est arrivé, il
y a quelques années, juste avant de partir à New York. Peut-être parce que
l'histoire m'avait déjà touchée aux larmes, longtemps avant, quand j'étais allée voir
Isabelle Adjani en Marguerite Gautier au théâtre Marigny.
Je vois encore Adjani/Marguerite, épuisée par la phtisie, assise d'un côté de la scène,
le buste effondré sur une sorte de rebord de fenêtre. Sa voix est à peine un filet,
elle vient de retrouver Armand et ils échangent leurs ultimes paroles. Depuis,
dans ma tête, Marguerite et Violetta ont toujours le beau visage pâle, presque blanc,
d'Adjani comme il apparaissait dans cette dernière scène, encore un peu adouci par
l'imprécision de mon souvenir.
Hier soir, j'étais impatiente de revoir la Traviata au Met, dans ma production préférée,
celle du festival de Salzburg, avec la robe rouge et le canapé.
D'ailleurs j'aime tellement ce DVD que je l'avais offert à Mitch, en souvenir de toutes les fois où
il m'avait fait écouter de l'opéra sur son ordinateur à l'entrée de Smalls.
Le décor est extrêmement dépouillé, tous les froufrous et les accessoires
clinquants sont remplacés par des lignes nettes, du blanc et du noir.
Le minimalisme de la production
aurait plu au vieux Sicilien avec qui Camille et moi partagions notre loge à la Scala
à Milan, la première fois que j'ai vu la Traviata ; c'était sa 45ème Traviata ou quelque
chose, il l'avait vue dans tous les grands opéras du monde. Il était accoudé sur le velours
de la rembarde à l'avant de la loge, et s'y avachissait d'ennui, applaudissait en tapotant
le velours de l'index droit, sans même soulever la paume. Il nous disait, en agitant les mains
vers les décors somptueusement littéraux, vous savez, l'opéra maintenant ça ressemble trop à Hollywood.
Dans cette production, la transition vers le dernier
acte, où la foule abandonne Violetta mourante sur le sol en reculant lentement hors de la scène,
est très saisissante. Parfois Willy Decker a eu la main un peu lourde sur le symbolisme (l'horloge,
le médecin symbole de la mort), et la littéralité semble alors toujours aussi encombrante,
même si ce sont les sous-entendus (subtext) plutôt que les circonstances qui sont rendus
avec l'application d'un fayot tête-à-claques. Mais dans l'ensemble je trouve que c'est du modernisme intelligent.
A Salzburg
c'était Anna Netrebko et Rollando Villazon, et j'aime tout, leur voix, leur jeu, leurs
gestes. Par contre Germont, le père, me plaisait moins. C'est un très grand chanteur bien
sûr, mais je n'aimais pas sa façon de jouer, il rendait le père absolument antipathique ;
alors que bon, le père, je le déteste et je pense que c'est une saleté de manipulateur machiavélique
(je vais revenir dessus), mais justement, pas la peine d'en rajouter, tout est dans le texte
et il doit être subtil quand il insinue le doute dans la pauvre âme de Violetta.
La version d'hier, Violetta (Marina Poplavskaya) et Alfredo (Polenzani) m'ont moins plu que
Netrebko et Villazon ; Violetta avait la voix qui me semblait se découvrir dans les aigus,
surtout au début, presque au point de craquer,
même si j'aimais bien son timbre en général. Et j'ai beaucoup aimé son "Addio del passato" -- qui
est "un de mes tubes" plus que les morceaux de bravoure du début, donc je m'y retrouve.
Peu de "chemistry" aussi entre notre couple malheureux, c'était loin des étreintes fusionnelles
de Netrebko et Villazon. Le père m'a beaucoup plu. L'orchestre n'était pas toujours avec le choeur
(enfin, le choeur pas avec l'orchestre),
mais sinon très beau comme d'habitude, quel bel orchestre ils ont au Met... Et, comme d'habitude,
j'ai pleuré. Violetta et Germont m'ont fait un duo parfait pour la scène qui me brise
le coeur à chaque fois ("Dite alla giovine..."), j'avais la gorge toute serrée dès l'acte II.
Je pleure beaucoup à la Traviata, à chaque fois j'essaie d'essuyer furtivement les larmes
parce que je n'aime pas pleurer en public, mais il y en a trop et ça se voit toujours. Heureusement
qu'il y a les longs saluts à la fin, en fait Violetta n'est pas morte, c'était une blague, ouf.
So. My beef with Germont. Quand j'ai vu la Dame aux Camélias, pour moi, Marguerite abandonnait
Armand pour racheter sa déchéance par le sacrifice de son amour, qui paraît la seule façon de l'élever
moralement. Un peu comme Rodrigue dans le Cid, elle n'a pas vraiment le choix, le père la met dans
une position où la seule façon de se montrer digne de son amour est d'y renoncer.
On bouillonne, on se dit que cette morale petit-bourgeoise stupide
devrait fiche la paix à nos amoureux, mais le père paraît sincère et authentiquement bon.
Mais on voit tout autre chose dans la Traviata (peut-être aussi dans la Dame aux Camélias,
je n'ai pas le texte et ça fait très longtemps). Germont débarque chez Violetta et la somme
assez brutalement de laisser Alfredo tranquille. Elle répond, jamais. Il essaie de lui dire,
bientôt tu en aimeras un autre. Elle répond, jamais, lui, lui, lui. Et alors que fait Germont ?
L'attendrit-il en faisant preuve d'une telle piété, qu'elle en est pénétrée jusqu'au tréfonds
de son âme et "se repent" ? Non, c'est un roublard, il va chercher la faille. Il connaît les
femmes, leur fragilité et leur besoin d'être toujours rassurées sur l'amour de l'autre,
il a vu avec les spectateurs la confiance bien incertaine en l'amour dont Violetta fait
preuve à l'acte I quand elle hésite à s'abandonner à l'amour que lui offre Alfredo.
Alors il lui dit, soit. Même si toi tu n'en aimes pas un autre, lui c'est une autre histoire,
l'homme est changeant. Touché ! Elle s'effondre, il voit qu'il a gagné, le rusé papa Germont.
Et il continue, il torture l'esprit de Violetta,
lui parle du temps qui fânera ses charmes. Violetta acquiesce, è vero, è vero. Alors Germont
lui offre le rôle de l'Ange consolateur de sa famille, la martyre qui s'est sacrifiée.
Et elle accepte, mais en insistant bien que Germont devra dire à Alfredo ce qu'elle a fait pour
lui, par amour, et qu'elle l'aura aimé jusqu'au dernier soupir. Pauvre petite fille transie
d'amour qui préfère savoir qu'Alfredo chérira toute sa vie le souvenir idéalisé, grandi
qu'elle se taille, plutôt que de risquer qu'il la quitte en restant avec lui.
Et le pire, ce que je me suis dit la deuxième fois que j'ai vu la Traviata,
c'est que peut-être, peut-être a-t-elle raison. Aurait-il suffit qu'elle croie, et
Alfredo qui l'aimait pour de bon ne l'aurait jamais quittée ? Je pensais que ça allait
de soi, avant. Mais Alfredo apparaît impulsif, puéril, avec tellement moins d'épaisseur
que Violetta. Il ne voit rien, ne comprend rien, quand elle vend ses biens pour entretenir leur
vie à la campagne, quand elle lui fait promettre qu'il l'aimera toujours alors qu'elle s'apprête
à partir,
et quand elle essaie de le sauver d'un duel avec le Baron. Alors, ce petit joueur face à la
grande Violetta, la sage Violetta qui connaît si bien son monde,
est-ce qu'il aurait été à la hauteur de son amour ? Ou aurait-il cessé d'aimer, tôt ou tard,
et Violetta cède à Germont parce qu'elle sait que c'est la seule façon d'immortaliser leur amour,
*et elle a raison* ?
19 janvier 2011
Je me demande comment les real estate agents peuvent continuer à parsemer
leurs annonces de "This dream apt will not last!!!", alors qu'on
voit un peu plus bas sur la même page, "273 days on market in StreetEasy."
4 janvier 2011
J'ai fini par céder ; je vais devenir membre de la légendaire
Park Slope Food Coop, parce que j'en ai assez de manger des
légumes monstrueusement grands et lisses, qui ont juste la couleur des vrais (ou alors de tout
acheter chez Whole Foods, mais comme disait le conducteur d'une
navette à Park City, "it's not Whole Foods, it's Whole Paycheck").
Et le fromage, comme il est cher le bon fromage ici !
Pour avoir le droit de faire
ses achats à la coop, il faut être membre.
Pour devenir membre, il faut assister à une "orientation", pour laquelle
on doit se préinscrire online. Un des problèmes de la coop est qu'il
y a trop de membres (aux alentours de 15 000), donc ils ont choisi
de restreindre les adhésions nouvelles en limitant le nombre de places
pour les "orientations". J'avais lu qu'il y avait une fenêtre d'à peu
près 60 secondes pour obtenir une place quand l'inscription s'ouvrait
chaque mardi à 15 heures, donc aujourd'hui je suis restée devant mon
ordinateur à rafraîchir mon browser toutes les 10 secondes de 15h à
15h15, et soudain, miracle ! Le formulaire apparaît. 60 secondes,
c'est un peu exagéré ; c'est vrai que la première date offerte a disparu
en moins d'une minute, la deuxième en 1 minute 30. Mais les deux suivantes
sont restées ouvertes presque dix minutes. Faut être au taquet, mais c'est tout
de même nettement moins sportif que les quelques maigres dizaines de secondes dont
je croyais disposer.
Maintenant, combien de temps vais-je tenir ? Tous les membres doivent
travailler 2h45 toutes les 4 semaines. Ca n'a pas l'air de beaucoup, mais
quand on a autre chose à faire au moment où l'échéance arrive, c'est
apparemment tout un casse-tête de se faire remplacer, et si on n'y parvient
pas, la punition est qu'il faut travailler deux fois 2h45 pour se rattraper.
Les histoires qui circulent
sur l'ambiance de la coop, et surtout, l'agressivité des internautes
qui défendent bec et ongles le mode de fonctionnement en traitant de
riches capitalistes esclavagistes ceux qui aimeraient avoir l'option
de payer plus pour ne pas avoir à travailler toutes les quatre semaines
font froid dans le dos
(voir les commentaires après les articles de
Chow ou du New York
Times, ou
de notre blog de quartier ).
Comme il y a beaucoup trop de membres, parfois les chefs
d'équipe ne savent plus comment les occuper, et on se retrouve avec
six personnes pour décharger quatre paquets de céréales, ou alors
certains qui se voient confier la mission critique de compter les
crayons et les grouper par dix avec un élastique. Il serait
tellement simple de travailler seulement toutes les 6 semaines au lieu
de 4, pourquoi non ? Est-ce que cela diluerait la valeur "éducative",
"camp de redressement" comme dit l'article de Chow, de la coop ?
Je copie quelques commentaires que j'aime bien (qui viennent de
là) :
"For those who insist on mandatory 'volunteering', are you really interested in a food coop or a food commune?
I thought the mission statement of a typical food coop was to bring high quality/healthy foods to a (usually underserved) community at "reasonable" prices - Period. Not to hold hands and sing kum ba ya or dig wells in Guatemala.
After walking by the Park Slope Coop for the umpteenth time and seeing (bordering on the comical) a 'Volunteer' escorting someone with usually no more than what looks like just two cans of beans and a head of lettuce to their car/bike/ bus, it's clear that there is way more Labor used than is actually needed."
Ou celui-ci, par une certaine Lucy, qui a pris sa calculette :
"As a matter of simple arithmetic - if the PSFC has 15K members, and each member works 2.75 hours/month, that's ~1375 man-hours consumed by the co-op PER DAY. Does that really sound plausible to anyone? That's the equivalent of 114 people working there all day every day. Really? Where are they hiding?
On the larger issues of righteousness and moral indignation about the correct way to run the perfect co-op - in the end, if non-working members are not allowed, the PLGFC will have fewer members and may not survive. I personally will not join if there are not non-working memberships. I have other priorities in my life - family, work, and (gasp) actually enjoying my free time rather than running from one overscheduled moment to the next. I'd be happy to support the PLGFC by both writing a check and by spending my shopping dollars there - but if I'm not deemed to have my priorities in order to the standards of the Kommittee, then I'll support an organization that doesn't feel the need to sit in judgement on the lifestyle choices of others. Seriously, haters - get a life."
Je me demande dans quoi je mets les pieds.
28 décembre 2010
Dimanche, et jusqu'à lundi matin,
s'est produite la 6ème plus importante chute de neige de l'histoire
de New York. Heureusement, Bloomberg le merveilleux est là pour nous
rassurer, annonçant lundi soir :
"The world has not come to an end.
The city is going fine. Broadway shows were full last night. There
are lots of tourists here enjoying themselves. I think the message
is that the city goes on." Touristes ? Les touristes ? C'est ça la
ville qui continue ? Ils ont déblayé Time Square et tout va bien ?
Alors que dans mon coin de New York, cela fait plus de deux jours
que le métro ne passe plus du tout (ni B, ni Q, ni S), parce que
les voies sont toujours enneigées, et qu'on a encore de la neige
jusqu'aux genoux (sans exagération). Des tas de conducteurs ont
dû passer la nuit dans leur véhicule sur Flatbush, parce qu'ils ne
pouvaient pas avancer dans la neige. Et si on veut aller travailler
ou lancer des boules de neiges sur les touristes, il faut y aller
à pied.
Je suis bien chez moi et je peux travailler d'ici, donc pour moi
tout va bien, mais quand je vois les gens du quartier qui luttent
pour aller travailler sans métro, j'ai envie d'aller trouver
Mickey et lui faire avaler ses commentaires. Ou alors prendre une bonne
grosse boule de neige sale et la glisser dans le col de sa chemise, tiens.
Cela dit c'est très mignon de voir des petits se jeter à plat dos
sur le matelas de neige qui garnit le milieu de la route. Et
la neige me rappelle de beaux souvenirs en train de s'esquiver discrètement,
par exemple j'allais peut-être oublier que mon très cher grand
frère avait un jour fait le voyage sur le plateau de l'x rien que pour
construire un bonhomme de neige avec moi.
Cette fois il ne s'est pas déplacé jusqu'à New York, comme
quoi tout se perd. Disons que c'est parce que les trois aéroports
étaient fermés dans la journée de lundi ; son vol aura été annulé.
Je me suis
beaucoup amusée à gambader dans Prospect Park en marchant
sur des étendues toutes blanches encore somptueusement lisses ; dès
qu'on sort des sentiers de circulation à la neige bien tassée, où
il faut croiser les gens en crabe entre deux murets de neige dure, on pose le pied sur
la neige sans savoir jusqu'où elle va céder -- la cheville, le mollet,
le genou ? Le genou, le plus souvent. Je me suis enfoncée profondément
au milieu des grandes nappes blanches, assez vite j'étais trempée d'eau glacée.
Pas le temps d'attraper la mort (ou de la réattraper puisque je me remets
d'un rhume un peu bizarre), puisque mon appartement douillet m'attendait
juste en face. Pour une fois que j'en profite !
18 décembre 2010
J'aimerais sortir et marcher dans le silence pour aérer un peu mes pensées
qui se cognent sur les murs de mon studio. Mais voilà, j'habite à Brooklyn ;
Prospect Park serait l'endroit idéal, s'il n'y avait le léger risque
de se faire égorger en y allant seule au milieu de la nuit. Je ne vais
tout de même pas prendre le métro pour aller marcher dans les rues jolies
et calmes de West Village ?!
15 décembre 2010
:'(
14 décembre 2010
Parfois quand je reviewe j'ai l'impression d'être un chien de garde. Lâché sur
un mauvais papier pour le démolir. Enfin, je fais ça gentiment, j'essaie de ne
pas froisser les auteurs, mais bon parfois il y en a qui abusent et soumettent
n'importe quoi, au point que trop de ménagement pourrait passer pour du
sarcasme.
Pour d'autres, c'est plus subtil, ça a l'air d'être des papiers sérieux,
et il faut connaître le sujet pour voir que ça a déjà été fait par d'autres
sous une forme un peu différente ;
ces papiers passent parfois, quand aucun des reviewers n'est au courant
de la littérature correspondante, et c'est surtout pour ceux-là qu'il faut
faire le chien poli, mais méchant.
2 décembre 2010
Inside Job donne une vision glaçante d'Alan Greenspan,
et de son rôle central dans la crise et, plus généralement,
dans l'éradication forcenée de tous les garde-fous qui
empêchaient les banques de devenir les monstruosités
qu'on n'arrive guère plus à réfréner.
Et aujourd'hui, que lis-je dans un cable de 2005 publié par Wikileaks ?
"Turning to Chairman Greenspan. Sarkozy said. "he is a
genius. A genius. He has pursued exactly the right policies."
28 novembre 2010
Que j'aime pousser la lourde porte d'un vieil immeuble parisien,
et me retrouver dans une cour intérieure protégée du bruit
et des passages, entourée de bâtiments à hautes fenêtres,
qui dégagent une noblesse tranquille que je ne trouve
jamais aux constructions new yorkaises.
Parfois on trouve des choses étonnantes ; par exemple, mon balcon a vue
sur un ensemble de quatre paires de petites maisons de deux étages avec
chacune un petit jardin individuel, retranchées derrière un bâtiment
classique de sept étages, seul visible depuis le boulevard.
Si j'avais quelques années
de désoeuvrement à occuper, j'attendrais à côté de chaque porte des quartiers
parisiens que j'aime pour entrer avec quelqu'un et voir quelle
cour se cache derrière la façade de la rue.
27 novembre 2010
Allez voir Inside Job. Vraiment. Les origines de la crise des subprimes
sont très bien expliquées, et on ressort de là écoeuré,
mais il s'agit de choses qui devraient être sues par tous.
Il se joue dans seulement
une vingtaine de salles en France, malheureusement.
21 novembre 2010
Dans notre climat quelque peu malsain et procédurier, j'en
viens à éprouver une heureuse surprise que les artistes puissent
se permettre encore de faire un peu ce qu'ils veulent. Par exemple,
broder sur l'histoire du fondateur de Facebook dans le film The social network,
parce que les possibilités dramatiques intéressent les auteurs plus que la fidélité
scrupuleuse à la réalité. Décrire un tremblement de terre à Marseille qui n'a
jamais eu lieu, entremêler le documentaire et l'invention. Inventer des
articles d'encyclopédie - non, je ne parle pas de la fausse fiche Wikipédia de
Jean-Pierre Pernaut composée par Houellebecq dans son dernier livre ; je pensais
à l'article sur Nisard qu'on trouve dans le roman de Chevillard, "Démolir Nisard" :
NISARD (Jean-Marie-Napoléon-Désiré), critique français né à Châtillon-sur-Seine
(Côte d'or) en 1806. Elève de Sainte-Barbe, M.Nisard entra dans le journalisme
dès qu'il eut achevé ses études et démontra ainsi que le journalisme mène à tout
à condition d'en sortir, axiome qui était fort en faveur sous la monarchie de Juillet.
Et Chevillard attribue cet article à Pierre Larousse dans son grand dictionnaire universel
du XIXe siècle. Je connais bien le ton docte et neutre des encyclopédies Larousse,
je les consultais enfant en attendant qu'il s'arrête de pleuvoir chez ma grand-mère rue Mouffetard,
ou chez moi, en 10 et 5 volumes -- et je possède mon
petit Larousse depuis que mon bien-aimé instituteur de CE1 Gérard l'avait fait acquérir à ses élèves, il me semble.
Ce serait plus drôle à lire si on y trouvait des phrases comme celle copiée plus haut.
Mais comme Google veille à ce qu'on puisse vérifier instantanément si on se plante (d'ailleurs
je me demande comment les hommes politiques américains peuvent faire autant semblant d'ignorer
l'existence de sites épatants comme politifact), j'ai découvert à la fois que Nisard, tel un non-Pilaster,
a réellement existé, et que Larousse avait bien usé de
ce ton personnel dans son encyclopédie (voir
ici l'extrait cité par Chevillard). D'ailleurs comme dit Wikipédia, Pierre Larousse fait
mourir Bonaparte le 18 Brumaire et renvoie à Napoléon si on veut savoir ce qui se passe ensuite.
Je pense souvent que l'habitude de la recherche me fait attendre des références pour tout, j'aimerais une
notice, une note, qui me dise ce qui est vrai, ce qui est inventé, ce qui vient d'où et pourquoi et comment ?
Là en l'occurrence Chevillard avait tout mis, il n'y manquait que la page, et me voilà bien attrapée quand même.
Nisard a vécu pour de vrai, et le livre s'appelle "Démolir Nisard". Bigre.
8 novembre 2010
La version online des journaux ne pratique pas le tri sévère de
la version papier, donc on a accès à la mare
de commentaires brute d'assainissement. Bien sûr il y a le biais
de l'échantillon, puisqu'on ne voit que "ceux qui aiment poster
des commentaires" ; mais c'est sans doute plus représentatif que
la version élitiste du courrier des lecteurs papier.
Qu'ai-je vu dans la mare aujourd'hui ? Des réactions à la sortie
de Dominique de Villepin ; un truc qui revient souvent, c'est
cet argument qu'il est ridicule de traiter de parenthèse
une élection au suffrage universel, que c'est insulter les Français
qui ont élu et l'institution elle-même. Ca m'agace, parce que
1) ce n'est pas l'élection qui est qualifiée de parenthèse, c'est
le mandat qui en résulte ; 2) à moins d'être Madame Irma,
on élit sur des promesses,
des espoirs, ou des lassitudes ; ça ne veut aucunement dire
qu'on souscrit par avance à tout ce qui va suivre
("blanket endorsement"). Madame Machu vient rendre
un grille-pain parce qu'il y avait un vice caché, si son vendeur
lui dit, "ah mais vous l'avez choisi, en vous plaignant
vous insultez le commerce", Madame Machu va lui répondre, "Mais vous vous foutez de moi."
D'ailleurs notre pauvre héros à la présidence des Etats-Unis
en a bien fait les frais à l'élection de mi-mandat il y a
quelques jours. Adieu grille-pain, bonjour orgies
de thé, Madame Machu se fait tyrannique, hélas.
6 novembre 2010
Le grook du jour:
PAST PLUPERFECT
The past, -- well, it's just like
our Great-Aunt Laura,
who cannot or will not perceive
that though she is welcome,
and though we adore her,
yet now it is time to leave.
Piet Hein
2 novembre 2010
Elections américaines. Bleuh. Un peu partout on trouve des commentaires
de gens qui expliquent pourquoi ils changent d'allégeance et s'apprêtent
à voter Républicain alors qu'ils ont toujours voté Démocrate.
Le plus décourageant, ce n'est pas tant le vote
lui-même, que les raisons invoquées, qui montrent une myopie du passé,
et du futur. Ils ne sont pas contents de l'état actuel des Etats-Unis,
donc naturellement il faut voter en face, sans chercher à voir si peut-être,
peut-être, cette crise a des racines ? Mon mal vient de plus loin, anyone ?
30 octobre 2010
L'adagio d'Albinoni, tout le monde connaît, éventuellement
après un tour par youtube pour se remettre dans l'oreille
les premières notes. Mettons qu'on ne s'intéresse
qu'à la popularité massive, en escamotant la question délicate
de ce qui pousse à produire des choses belles et bonnes
- être aimé de soi-même, de Dieu, des happy few, des
riches mécènes, de tout le monde ?
Est-on content d'être connu du grand
public par une seule de ses oeuvres, qui fait de l'ombre
à toutes les autres ?
Pour Albinoni ce n'est même pas
cela qu'il faudrait se demander, puisque l'adagio d'Albinoni
n'est pas de lui, mais probablement entièrement de Remo Giazotto,
qui a vécu quelque trois siècles plus tard, mort en 1998.
Giazotto racontait qu'il avait simplement développé
une basse et six mesures d'une sonate d'Albinoni, sur un
fragment conservé à la bibliothèque de Dresde.
Mais on n'a jamais trouvé de traces
dudit fragment.
Est-ce qu'Albinoni enrage d'être connu auprès de tant de
monde pour une oeuvre qui n'est pas de lui ? Giazotto
s'est-il consumé d'amertume devant le succès immense
de l'oeuvre attribuée à un autre, ou rigole-t-il
que la blague ait si bien pris ? Ou il attend
patiemment son heure, en ajoutant une petite croix
au mur chaque fois qu'un internaute atterrit sur la
page wikipedia de l'adagio d'Albinoni et découvre
son nom ? Ou les deux s'en fichent, ont laissé le passé
dans le passé, et sont devenus partenaires de ping-pong ?
Ou il n'y a pas de vie après la mort ?
28 octobre 2010
Dropbox c'est merveilleux. Je me répète et j'ai assez bassiné
tout le monde avec ça depuis que je l'ai installée -- dans
l'enthousiasme des premiers jours, j'avais même
mis un lien sur ma page facebook, moi qui facebooke tous les
29 février. D'ailleurs, voyant le post, celui qui m'a
convertie était tellement fier du plein succès de son lavage
de cerveau qu'il s'est pris à rêver de fonder une secte.
Jusqu'à maintenant je trouvais le service simplement
très pratique, taillé exactement pour les gens qui
ont trop de plateformes de travail. Entre le desktop
familial, mon desktop personnel,
ceux de mes labos, et mon laptop -- et l'iPhone, puisqu'on m'en
a offert un --, ça fait beaucoup d'endroits où chercher
quand j'essaie de me souvenir où j'ai bien pu sauver
ma dernière déclaration d'impôts. Avant je me servais
de gmail et des documents google pour faire la navette,
mais dropbox c'est beaucoup plus adapté pour les gros
fichiers, les fichiers en cours de modification, et
les projets qui ont beaucoup de fichiers comme un document
LaTeX avec ses figures -- cvs et svn ça marche, bien sûr,
mais dropbox est tout automatique, tellement
plus simple pour les petites synchronisation rapides.
Pratique donc, mais rien d'absolument nécessaire.
Mais ce soir, je verse dans l'idolâtrie ;
ma dropbox vient de m'épargner
des heures d'arrachage de cheveux.
J'écrivais tranquillement un truc administratif dans mon éditeur,
j'ai fini, sauvé,
toute fiérote d'avoir bouclé la lettre aujourd'hui.
Au moment où je tape "enter" pour fermer, je me souviens soudain
que j'ai oublié de changer le nom du ficher -- parce que j'étais
partie d'une lettre de base plus ancienne que j'avais déjà.
Que, donc, je m'apprêtais allègrement à écraser.
J'essaie de retenir
mes doigts, mais trop tard, le fichier est fermé, et envolée
la possibilité magique des "undo"...
Une demi-seconde d'effroi glacial, mais tout de suite
je me vautre dans un soulagement souverain
en voyant que j'étais dans ma dropbox --
et dropbox garde la mémoire des versions des 30 derniers jours
au cas où on voudrait rembobiner. Sauvée.
Ah, que j'aime quand
les choses fonctionnent encore mieux que ce qu'on en
attendait.
Tant qu'à faire, si vous voulez essayer, utilisez
mon lien
de referral ici -- ça donne 250Mb en plus des 2Gb de
base, pour vous et pour moi, toujours bon à prendre.
20 octobre 2010
Hier soir la station dont j'espérais obtenir un vélib était en rade.
J'étais à la fontaine Saint-Michel, j'ai attendu quelques minutes
voir si la station arrivait à téléphoner chez elle, mais rien.
J'ai remonté la rue Saint-Jacques, et toutes les stations sur
le chemin étaient
aussi obstinément boudeuses. Je croisais de jeunes
gens indécis, se retournant toutes les deux minutes pour voir
de loin si leur station n'avait pas soudain décidé de passer
du rouge au vert. J'étais presque à la rue Gay-Lussac, au
niveau de l'hôtel Médicis. J'aime cet hôtel ;
la petite porte minuscule coincée entre deux boutiques,
le long couloir étroit au bout duquel on monte l'escalier
qui mène à la réception, les chambres simples à 16 euros
occupées toute l'année par des artistes ou des étrangers
tombés amoureux de Paris. Il y a quelques années,
j'avais pris une chambre double
un soir où il y avait trop d'agitation chez moi, pour être
au calme ; 30 euros la chambre, en plein 5ème, cela semblait
incongru. J'avais d'abord essayé l'hôtel Stella, dans la rue
Monsieur-Le-Prince (à côté du Polidor), que je connaissais depuis longtemps et
où les chambres avaient des pianos et de belles poutres ;
35 euros la chambre simple,
mais ils n'avaient plus que des chambres doubles à 50. Ils m'ont dit,
vous pouvez trouver moins cher, et m'ont envoyée à l'hôtel Médicis.
Oui parce qu'à l'origine, les deux hôtels étaient gérés par une
seule famille.
On m'a donné une grosse clé, à l'ancienne,
une de ces
clés lourdes avec une large boucle et un embout rectangulaire
qu'on imagine ne pouvoir entrer que dans une serrure rouillée.
D'ailleurs sur la porte de l'hôtel il y avait un signe, "your key is not
a souvenir" ; bien vu, je serais bien partie avec.
Il y avait une douche commune sur le pallier,
le meuble de mon lavabo était fracturé, le papier peint était vieux
et moche, mais j'étais bien dans
mon petit coin tranquille.
Je repensais à tout cela, je souriais. J'ai levé les yeux, cherché
la vieille enseigne de l'hôtel ; mais l'enseigne était neuve,
et derrière s'étalait une façade clinquante, toute nette, large et lumineuse.
Hôtel le Petit Paris. Propre, agréable, lumineux, climatisé,
250 euros la chambre. L'immeuble tout fiérot me narguait
avec sa déco pimpante. Je me suis sentie triste.
Maintenant je n'ai plus que mes souvenirs de cette vieille nuit,
Lucky l'écrivain américain qui avait une des fameuses chambres
simples et avec qui j'avais discuté quelques heures au chinois
d'en face, les palliers tout petits et les couloirs étroits.
En rentrant chez moi j'ai cherché mon hôtel Médicis sur google,
et j'ai trouvé
cette page avec des photos de l'hôtel -- et
découvert que Jim Morrison y avait vécu une semaine.
Je ne sais pas si l'hôtel Stella existe encore. Quand j'avais
voulu le montrer à Ben lors de sa visite à Paris, il était
fermé pour non-conformité aux normes de sécurité. J'espère
qu'il a réouvert.
Je déteste quand les villes que j'aime perdent quelque chose
qui m'attachait à elles. Je me sens trahie. La ville n'en
a sans doute rien à faire, elle vit et évolue et ne sait
même pas que je suis là ; mais j'aimerais tant pouvoir marquer
mes lieux et lui dire, "cela, garde-le moi, s'il te plaît."
13 octobre 2010
J'aime quand les choses que je reçois d'endroits différents
convergent, et se confirment l'une l'autre ; sans doute
parce que je peux jouir de l'apaisement souverain
de regarder l'incertitude se dissiper. Il s'agit souvent
de sensations subtiles que je ne suis pas sûre d'avoir
vraiment comprises, par exemple quand un professeur
de technique Alexander s'exprime par images que je
fais coller comme je peux à ce qui se passe en moi,
mais sans pouvoir vérifier si je ne suis pas complètement
à côté de la plaque.
Ou d'un conseil bienveillant
auquel je n'ose pas m'abandonner pleinement --
on reçoit tant de conseils contradictoires, et on répand
soi-même tant de croyances qu'on découvre plus tard inexactes.
Mais parfois les gens auprès de qui on cherche des
réponses se rencontrent dans leurs recommandations.
Chez moi cela provoque un mouvement joyeux, comme
si je reconnaissais un vieil ami. L'autre jour,
je lisais une page très bien
faite de conseils sur la respiration pour le chant.
La façon dont ils décrivaient la position
du sternum me rappelait l'exercice de
Daniela et Luis pour le tango argentin, quand ils
m'avaient fait attraper un livre tout en haut d'une
étagère, puis m'avaient dit de toujours garder le sternum
dans cette position. Et, merveille des merveilles ! Le
paragraphe suivant de la page sur le chant donne presque
le même exercice - on tend les bras vers le ciel au lieu
des Frères Karamazov, mais sinon pareil.
Ah, les grands esprits qui se rencontrent.
Peut-être
que je devrais faire partie d'une secte,
je baignerais dans la béatitude de la certitude absolue
à entendre le même son de cloche partout.
(Ou pas, comme on disait au lycée).
29 septembre 2010
Souvent j'entrevois derrière ma vie toute une autre vie qui
m'irait tellement mieux. Il ne s'agit pas tellement de moi,
plutôt de l'environnement dans lequel je baigne. Je m'y adapte
comme je peux, je m'en sors, après tout on se fait bien à la
marche sur talons hauts. Mais la mélancolie familière qui
revient ramène avec elle un manque presque physique, tant
cette autre vie qui serait mon milieu naturel paraît
accessible. Quelques petites choses, oublier le confinement
des activités du mercredi, que tout bave dans tous les
sens. J'aimerais pouvoir arriver le matin et danser avec
mes collègues, pas seulement les soirs prévus avec la population
un peu bizarre des mordus de danse. Ou faire de la musique avec
tous mes amis. Il y avait un peu de cela au lycée, et c'est pour
ça que j'étais si heureuse là-bas, par moments. On pouvait faire
des maths, du piano, du basket, jouer aux cartes, danser,
faire du latin, dans la même journée,
avec la même bande. Puis tout le monde a grandi et s'est spécialisé,
ce qui est bien - mais maintenant on se retrouve autour d'un verre
ou d'un café, pour discuter, on va au restaurant, au concert, ou au cinéma.
Je ne sais plus jouer au basket, je ne sais plus jouer au foot,
d'autres ne dansent plus, ne font plus de musique, alors
on s'accommode des intérêts communs, et on va satisfaire
ses envies d'autre chose ailleurs, dans le compartiment prévu.
15 août 2010
Une perte sans retour, on en fait des cauchemars, mais
au lieu du soulagement familier du retour à la
réalité, le réveil n'a rien d'autre à offrir que la douleur
toujours là, parce qu'elle venait de la vie et pas du rêve.
14 août 2010
Maintenant que j'ai recommencé à danser le tango argentin
très régulièrement, j'ai de plus en plus de mal à supporter
la frustration de danser sur de vieux tangos qui ne m'inspirent
pas vraiment, alors qu'il y a tellement, tellement de tangos
sur lesquels j'aimerais danser... Pourquoi il n'y a presque
jamais de Piazzolla aux milongas ? Le matin, je trépigne en écoutant
cette musique chez moi, j'étouffe de ce besoin de danser
dessus, et le soir à la milonga quand je peux enfin danser
avec mes chers partenaires, presque toute la musique m'ennuie.
1er août 2010
C'est difficile de savoir quelle serait ma vie si j'étais née
dans une famille extrêmement religieuse. Par exemple, si j'étais
née à Colorado City, penserais-je
réellement que le salut éternel de mon mari exige qu'il ait au
moins trois femmes, et que mon propre salut éternel repose
entièrement sur le bon vouloir de mon mari, qui à ma mort
choisit s'il m'appelle auprès de lui, ou me laisse croupir
de l'autre côté du voile ? Est-ce que je croirais que
quand on veut me marier à quelqu'un qui a quarante
ou soixante ans de plus que moi, c'est vraiment Dieu
qui a décidé cela, simplement parce que c'est ce que dit
le prophète ? Est-ce que je rêverais de cette éternité
promise, où les femmes sont enceintes tout le temps
pour produire les "spirit children" qui peupleront la planète
de leur mari ?
A Colorado City, le prophète a interdit la télévision,
la radio, internet, les livres de l'extérieur, et retiré tous
les enfants de l'école pour qu'ils soient éduqués à la maison.
Dans de telles conditions de fermeture, on peut sans doute
avaler tout et n'importe quoi.
Mais surtout, ce n'est pas tant une question de ce que l'on
croit ou non. Quelqu'un né dans une communauté fermée, avec un mode
de vie bizarre, ne peut pas seulement décider qu'il ne croit plus à telle ou telle
révélation divine, et espérer abandonner la religion, sans devoir aussi
renoncer à sa famille, ses amis, et être plongé d'un coup dans
le monde extérieur auquel rien ne l'a préparé.
Ca commence à faire beaucoup.
18 juillet 2010
"Probably no-one has recorded from a cell that
performs the operation of distinguishing scratchworthy from
unscratchworthy cutaneous stimuli, but it is worth asking whether,
if one were picked up, its function would be spotted during
an ordinary physiological investigation."
H. B. Barlow, 1961.
28 juin 2010
Je cherchais mes amis dans Haifa, et nous n'avions ni
portable ni email. Je les avais vus descendre
la grande rue de la German Colony un quart d'heure avant,
pendant que je dejeunais avec John et Kevin. Ils avaient dit
qu'ils voulaient aller a la plage, alors des que j'ai eu fini
de manger, je me suis mise en quete d'une plage. Sur la carte,
il y avait une petite anse pas tres loin, qui s'appelait "The Quiet Beach."
Je me suis mise a marcher sous le soleil tapant, sans mettre de creme solaire
meme si j'en avais dans mon sac, puisque j'avais cranement decide
que mes origines vietnamiennes me protegeraient -- ca n'a pas manque,
des le soir j'etais rouge ecrevisse sur tout le decollete.
La promenade vers la plage n'etait pas belle, il fallait longer de grands
axes et traverser des voies de train. Plus je me rapprochais, plus je voyais
de Juifs orthodoxes avec chapeau et boucles, tirant par la main des gamins
avec des bouees, ou marchant seuls a pas rapides. J'ai fini par arriver
a la plage. Elle etait cachee par un long mur, et l'entree se faisait par une
petite ouverture dans un abri en bois, je n'avais jamais vu ca. Ca me faisait
un peu penser a Alice au pays des merveilles. Je me suis dirigee par la
d'un pas resolu, comme si j'avais l'habitude des lieux. Par l'ouverture,
j'entrevoyais des tas de gens en habit orthodoxe ; une voix les avertissait
de quelque chose au haut-parleur, mais je sais juste dire oui et non en
Hebreu alors ca ne m'aidait pas beaucoup. Sans doute s'agissait-il d'une
explication pour les drapeaux rouges que je voyais partout - peut-etre les bancs
de meduses que j'ai vus sur le sable en fin de journee, echouees par dizaines ?
Je double un homme et son petit, je me faufile dans l'ouverture entre deux
grands maigres. Un petit chauve approche vers nous en courant et gesticulant furieusement,
l'air atterre. Je me demande s'il y a trop de monde sur la plage, ou si ce que disait
le haut-parleur revenait a une interdiction d'entrer ? Mais non, c'est seulement a
moi qu'il s'adresse. Il finit par se calmer un peu et me dire, "Men only, men only today."
Un homme me dit en rigolant, "You cannot get in, you don't look like a man. Try to
grow a beard or something." Je m'etais pointee comme une fleur sur une
plage reservee aux hommes chaque Shabbat.
8 juin 2010
"Like humans, rats show a high degree of behavioral flexibility during the
appetitive phase and can learn to associate a variety of neutral stimuli like
odors with sexual rewards [12,13,21-26]. In turn, those stimuli act as primes
to stimulate desire and sexual responding. As noted above, it is easy to see
how appetitive behaviors such as bar pressing and flower giving are analogous.
The question that arises is how we equate the consummatory behaviors between
laboratory animals and humans. However, unlike humans, rats do not engage in a
copulatory "lock" in which the partners stay together until an ejaculation or
an orgasm(s) is reached. Rather, rats make brief copulatory contact, largely
directed by the female (reviewed in Pfaus et al. [6]). Females solicit
copulation from males and then run away, forcing the males to chase them. After
a runaway, a female rat holds an estrogen-dependent stationary posture called
"lordosis," which is intensified when a male palpates the flanks as he mounts.
After mounting [...] and pelvic thrusting
[...], the male dismounts, and the female runs away. She
then reinitiates contact with the male and runs away again, whereupon he chases
her until she stops to hold another lordosis posture, allowing him to mount and
intromit again. This cycle occurs several times until the male ejaculates. The
female regulates his behavior by soliciting his mounts and by controlling the
temporal pattern in which they occur. Her control of the initiation and rate of
copulation is called "pacing"[18], and pacing is the critical factor for sexual
rewards in the female rat [22,25], just as ejaculation is the critical factor
for sexual rewards in the male rat [13,21,26]. In both cases, a sexual reward
reinforces behaviors and cues that come before it, making it possible to pair
neutral cues such as odors with sexual reward states, so that desire toward
those cues (e.g., increased solicitations by females toward males bearing the
conditioned cue, ejaculatory preference by males for females bearing the
conditioned cue, or conditioned place preference) can be studied directly."
JG Pfaus, J Sex Med. 2009 Jun;6(6):1506-33.
1er juin 2010
Je trouve ça merveilleux qu'on ait une "substantia innominata" dans le cerveau.
A la Ulysse, "Quel est ton nom ? - Personne."
27 mai 2010
Ces dernières semaines je suis allée plusieurs fois au petit magasin organic-everything
au coin du bloc de mon ancien appartement d'East Village. Non
que je veuille faire un pélerinage vers mon ancien appartement,
mais quand je cherche des trucs un peu exotiques comme de l'huile
d'amande douce, de la fleur de sel de France, de l'agar agar ou de l'eau
de rose, je sais qu'ils en ont
- et pour beaucoup moins cher que
Whole Foods, en général, puis il ne faut pas faire la queue
trois heures. Ils ont du vrac de tout et n'importe quoi aussi,
du germe de blé, de la levure de bière, du riz de plein de sortes
différentes, de la farine de céréales bizarres.
Hier je me disais que c'était tout de même bête
que j'aie si peu cuisiné quand j'habitais au-dessus du magasin.
A cela près que la cuisine de mon appartement
était horrible à utiliser. Pas de plan de travail,
juste la cuisinière et une mini table pliante Ikea fixée au mur,
qui bloquait le passage quand elle était ouverte, et un évier
minusculissime. Ce genre de conditions n'arrêtent pas les
vrais cuisineux, mais pour une mauviette comme moi, il faut
y mettre un peu plus de confort.
25 mai 2010
Quand j'arrive dans une nouvelle ville pour y rester quelque temps,
je construis des habitudes, puis je les laisse là dès que je repars.
A Londres, c'était de lire dans mon bain un jour sur deux, d'aller
me faire masser deux fois par semaine dans la maison des étudiants,
de mettre le réveil à 7 heures du matin pour descendre en pyjama
à la réception pour réserver le piano de la résidence pour le
dernier créneau du soir, 22 ou 23 heures je ne sais plus. Puis
je remontais me coucher pour quelques heures. Ou dormir
au labo le week-end en revenant de Turnmills, quand j'avais
la flemme de marcher jusqu'à chez moi au petit matin.
Je cuisinais aussi exclusivement au grille-pain, et j'achetais
tout le temps des tomates cerises et des pommes chez Tesco,
qui bizarrement avait des fruits et légumes très bons. Puis
aussi des litres de lait au chocolat Frij, que je n'ai jamais
bu avant ni depuis ; quand j'en revois une bouteille,
un peu de 2005 déteint sur le présent, je sens en moi une vague
furtive de ce qui faisait ma vie d'alors, les excitations,
les frustrations, les promenades nocturnes jusqu'à Covent
Garden. Et puis bien sûr j'allais tout le temps chez Sainsbury's,
pour leur pain et leurs yaourts à la vanille.
Voilà, justement, les yaourts. J'ai une relation très personnelle
avec les laitages, et ça fait beaucoup rigoler les gens du labo
de me voir revenir de Carrefour avec des sacs remplis de yaourts
de toutes les couleurs. A Rome j'adorais leurs petites
"crèmes de ricotta" à la framboise, ce n'était pas tout à fait
un yaourt mais je faisais le tour de tous les supermarchés pour
acheter celles que je trouvais, tellement j'aimais ça. Je n'irais
pas jusqu'à dire que je faisais le voyage si régulièrement juste
pour acheter des crèmes et mes pâtes Voiello, mais ça faisait
partie du plaisir.
A Londres, il m'a fallu environ
deux semaines avant de trouver enfin des yaourts qui me plaisent
(chez Sainsbury's, donc). En arrivant à New York, j'ai vu
des étalages entiers de laitages - et du Danone partout ! (sauf
qu'ils écrivent ça "Dannon", ici). Cela allait être si simple.
J'ai acheté mes yaourts, Activia comme à Paris, sauf qu'ils n'avaient
que vanille -- mais pas bons
du tout, en fait, pas comme à Paris. Les yaourts nature "plain" avaient
un goût acide, encore pire. Les yaourts aux fruits, ce sont
toujours des "fruit on the bottom", et ils ont une saveur douceâtre
- jusqu'à ce qu'enfin
je déniche chez Fresh Direct un yaourt danone "All natural"
à la fraise qui était très bon, un vrai yaourt à la fraise
à la française. Mais ils ont été "discontinued" (la troisième
trahison, après Mayan Chocolate d'Haagen Dasz, puis Amazon Valley
Chocolate, du même). Alors j'ai complètement arrêté de manger des
yaourts aux US.
Heureusement, Agathe est venue
à New York, et m'a suggéré de faire mes yaourts moi-même, tout
bêtement. J'avais toujours pensé que c'était très compliqué
et qu'il fallait une yaourtière. Mais d'après google,
il suffit de chauffer du lait au bain-marie, de laisser
vingt minutes pour que l'eau s'évapore un peu, de laisser
refroidir jusqu'à 45 degrés, puis on met une cuiller à soupe
de yaourt, on mélange, on verse dans les pots, et on
met dans une glacière
avec des bouteilles remplies d'eau du robinet très chaudes
pour garder le tout bien au chaud. Et quatre heures après,
on a du yaourt, grâce aux adorables petites bactéries qui
aiment le lactose.
J'ai essayé, ça marche tout seul, et c'est
bon, bien meilleur que les yaourts US dont j'étais
dégoûtée ! Enfin, enfin ! Au bout de quatre ans,
la solution de mon problème de yaourt !
26 mars 2010
La nuit dernière, à force de courir, j'avais fini par attraper
le train. Mais ce n'était pas le bon, alors je suis descendue en
marche,
j'ai traversé les voies en courant pour sauter dans l'autre.
Je n'avais pas de billet, et pas une seule machine en vue pour
en acheter, ou plutôt si, mais avec une queue immense devant.
Je suis montée quand même en me disant que j'achèterais un billet
au contrôleur. Après je ne me souviens plus, je me suis réveillée
là de mon rêve, sans savoir si j'allais arriver,
ou non. Je me souvenais juste que le trajet était censé me mener
au cinéma - toute cette course épique seulement
pour échapper au terrible châtiment de rater le début d'un film, dont
j'ignore jusqu'au titre. La nuit, on est sans défense contre la tyrannie
des rêves.
(Viguier acquitté, ouf.)
19 mars 2010
Je me demande ce que les jurés vont décider demain, dans l'affaire Viguier.
On rejuge un accusé déjà acquitté par les Assises,
sans fait nouveau. Au collège j'avais appris qu'il n'y avait pas d'appel
après les Assises, parce que le peuple avait jugé. Depuis, Europe oblige,
l'appel est possible là aussi - et perversement, aussi pour le Ministère
Public.
Mais ce n'est pas ce qui me choque le plus ; que l'accusé soit coupable
ou innocent, les arguments avec lesquels on l'attaque m'énervent.
J'en donnerais presque des claques à mon écran d'ordinateur, surtout
quand je vois la légèreté avec laquelle certains journalistes déforment
les faits, puis haussent les épaules en souriant quand on le leur fait
remarquer, l'air de dire, vous n'allez pas m'enquiquiner sur une vétille,
ADN mêlés, sangs mêlés, c'est la même chose,
ça convient mieux à mon argumentaire, et puis qu'est-ce que ça change
comme de toute façon il est coupable.
La brutalité avec laquelle l'enquête a été menée, toujours à charge,
pour extorquer des aveux, est humaine et compréhensible ; je crois
à la sincérité de ceux qui s'en sont occupés, ils voulaient servir
la vérité, une fois leur conviction acquise. Mais comment continuer
à travailler comme cela, quand on sait que 1)la conviction
peut être tout aussi forte quand elle est fausse, 2)les gens
peuvent avouer n'importe quoi, et surtout, se convaincre
que c'est leur vérité. Les recherches en psychologie
ont établi solidement qu'il est possible (et facile) d'implanter
de faux souvenirs chez les gens, qui deviennent indistinguables
des vrais. Face à un enquêteur qui suggère, menace, et offre
une version toute faite des faits en affirmant qu'il a des preuves,
la mémoire paraît bien vulnérable. Et après, la coïncidence des
témoignages avec les scénarios proposés par l'accusation devrait
en démontrer la solidité ?
Les enquêteurs devraient avoir
le même respect pour la mémoire humaine que pour les scènes de crime :
l'interroger avec d'infines précautions, pour ne rien perturber, car
une fois dérangée la vérité initiale est perdue.
Les innocents prostrés qui ne se comportent pas comme
l'Innocent de l'imaginaire collectif - rien de bien neuf non plus,
les psychologues le savent depuis longtemps - renforcent la certitude
précoce qu'ils ne peuvent être que coupables.
Entendre ce que l'on
entend dans l'affaire Viguier, après Outreau, après The Innocence Project,
c'est glaçant. Que l'accusé soit coupable ou non.
A ce propos, j'avais relevé quelques passages quand j'avais lu
"Mistakes were made (but not by me)", de Carol Tavris (que je vous
recommande, d'ailleurs) :
"As research psychologist John Kihlstrom has observed,
"The weakness of the relationship between accuracy and confidence
is one of the best-documented phenomena in the 100-year history of
eyewitness memory research."
"The most common justification for lying and planting evidence is that the end
justifies the means. One officer told the Mollen Commission investigators that
he was doing God's work. Another said, If we're going to catch these guys,
fuck the Constitution. When one officer was arrested on charges of perjury, he
asked in disbelief, What's wrong with that? They're guilty. What's wrong
with that is that there is nothing to prevent the police from planting
evidence and committing perjury to convict someone they believe is
guilty--someone who is innocent. Corrupt cops are certainly a danger to the
public, but so are many of the well-intentioned ones who would never dream of
railroading an innocent person into prison. In a sense, honest cops are even
more dangerous than corrupt cops, because they are far more numerous and harder
to detect. The problem is that once they have decided on a likely suspect, they
don't think it's possible that he or she is innocent. And then they behave in
ways to confirm that initial judgment, justifying the techniques they use in
the belief that only guilty people will be vulnerable to them."
"The most powerful piece of evidence a detective can produce in an
investigation is a confession, because it is the one thing most likely to
convince a prosecutor, jury, and judge of a person's guilt. Accordingly, police
interrogators are trained to get it, even if that means lying to the suspect
and using, as one detective proudly admitted to a reporter, trickery and
deceit. Most people are surprised to learn that this is entirely legal.
Detectives are proud of their ability to trick a suspect into confessing; it's
a mark of how well they have learned their trade. The greater their confidence,
the greater the dissonance they will feel if confronted with evidence that they
were wrong, and the greater the need to reject that evidence. Inducing an
innocent person to confess is obviously one of the most dangerous mistakes that
can occur in police interrogation, but most detectives, prosecutors, and judges
don't think it is possible. The idea that somebody can be induced to falsely
confess is ludicrous, says Joshua Marquis. It's the Twinkie defense of [our
time]. It's junk science at its worst. Most people agree, because we can't
imagine ourselves admitting to a crime if we were innocent. We'd protest. We'd
stand firm. We'd call for our lawyer...wouldn't we? Yet studies of unequivocally
exonerated prisoners have found that between 15 to 25 percent of them had
confessed to a crime they had not committed. Social scientists and
criminologists have analyzed these cases and conducted experimental research to
demonstrate how this can happen. The bible of interrogation methods is Criminal
Interrogation and Confessions, written by Fred E. Inbau, John E. Reid, Joseph
P. Buckley, and Brian C. Jayne. John E. Reid and Associates offers training
programs, seminars, and videotapes on the 9-Step Reid Technique, and on their
Web site they claim that they have trained more than 300,000 law-enforcement
workers in the most effective ways of eliciting confessions. The manual starts
right off reassuring readers that none of the steps is apt to make an innocent
person confess, and that all the steps are legally as well as morally
justifiable:
It is our clear position that merely introducing fictitious
evidence during an interrogation would not cause an innocent person to confess.
It is absurd to believe that a suspect who knows he did not commit a crime
would place greater weight and credibility on alleged evidence than his own
knowledge of his innocence. Under this circumstance, the natural human reaction
would be one of anger and mistrust toward the investigator. The net effect
would be the suspect's further resolution to maintain his innocence.
Wrong.
The natural human reaction is usually not anger and mistrust but confusion
and hopelessness--dissonance--because most innocent suspects trust the
investigator not to lie to them. The interrogator, however, is biased from the
start. Whereas an interview is a conversation designed to get general
information from a person, an interrogation is designed to get a suspect to
admit guilt. (The suspect is often unaware of the difference.) The manual
states this explicitly: An interrogation is conducted only when the
investigator is reasonably certain of the suspect's guilt. The danger of that
attitude is that once the investigator is reasonably certain, the suspect
cannot dislodge that certainty. On the contrary, anything the suspect does will
be interpreted as evidence of lying, denial, and evading the truth, including
repeated claims of innocence. Interrogators are explicitly instructed to think
this way. They are taught to adopt the attitude Don't lie; we know you are
guilty, and to reject the suspect's denials. We've seen this self-justifying
loop before, in the way some therapists and social workers interview children
they believe have been molested. Once an interrogation like this has begun,
there is no such thing as disconfirming evidence."
"Kassin found that this certainty of infallibility starts at the top. I was at
an International Police Interviewing conference in Quebec, on a debate panel
with Joe Buckley, president of the Reid School, he told us. After his
presentation, someone from the audience asked whether he was concerned that
innocent people might confess in response to his techniques. Son of a gun if he
didn't say it, word for word; I was so surprised at his overt display of such
arrogance that I wrote down the quote and the date on which he said it: 'No,
because we don't interrogate innocent people.'"
"[...] training does not
increase accuracy; it increases people's confidence in their accuracy. In one
of numerous studies that have documented the false-confidence phenomenon,
Kassin and his colleague Christina Fong trained a group of students in the Reid
Technique. They watched the Reid training videos, read the manual, and were
tested on what they had learned to make sure they got it. Then they were asked
to watch videotapes of people being interviewed by an experienced police
officer. The taped suspects were either guilty of a crime but denying it, or
were denying it because they were innocent. The training did not improve the
students' accuracy by an iota. They did no better than chance, but it did make
them feel more confident of their abilities.
Still, they were only college students, not professionals. So Kassin and Fong
asked forty-four professional detectives in Florida and Ontario, Canada, to
watch the tapes. These professionals averaged nearly fourteen years of
experience each, and two-thirds had had special training, many in the Reid
Technique. Like the students, they did no better than chance, yet they were
convinced that their accuracy rate was close to 100 percent. Their experience
and training did not improve their performance. Their experience and training
simply increased their belief that it did.
"
4 mars 2010
Méchante faucheuse, je te tourne le dos.
Je suis tombée sur un poème l'autre jour :
TWIN MISTERY
To many people artists seem
undisciplined and lawless.
Such laziness, with such great gifts,
seems little short of crime.
One mystery is how they make
the things they make so flawless;
another, what they're doing with
their energy and time.
-Piet Hein, poet and scientist (1905-1996)
Du coup j'ai demandé à Wikipédia et trouvé d'autres de ses "grooks" :
THE ROAD TO WISDOM
The road to wisdom? Well, it's plain
and simple to express:
Err
and err
and err again,
but less
and less
and less.
Ou cet autre :
MEETING THE EYE
You'll probably find
that it suits your book
to be a bit cleverer
than you look.
Observe that the easiest
method by far
is to look a bit stupider
than you are.
Le grook coquin :
DREAM INTERPRETATION
Simplified.
Everything's either
concave or -vex,
so whatever you dream
will be something with sex.
Et quelques autres pour la route :
LOSING FACE
The noble art of losing face
may some day save the human race
and turn into eternal merit
what weaker minds would call disgrace.
CONSOLATION GROOK
Losing one glove
is certainly painful,
but nothing
compared to the pain,
of losing one,
throwing away the other,
and finding
the first one again.
A PSYCHOLOGICAL TIP
Whenever you're called on to make up your mind,
and you're hampered by not having any,
the best way to solve the dilemma, you'll find,
is simply by spinning a penny.
No -- not so that chance shall decide the affair
while you're passively standing there moping;
but the moment the penny is up in the air,
you suddenly know what you're hoping.
Un grook sage pour finir :
T. T. T.
Put up in a place
where it's easy to see
the cryptic admonishment
T. T. T.
When you feel how depressingly
slowly you climb,
it's well to remember that
Things Take Time.
16 février 2010
J'ai joué à beaucoup de jeux de société quand j'étais en primaire.
Tous les mercredis, après avoir planté des clous et découpé des
plaques de contreplaqué à la scie électrique à l'atelier de bois,
on empruntait un jeu à la ludothèque de l'ADAC. Je me souviens encore
de la lourde porte bleue, et du bruit qu'elle faisait quand on appuyait
sur les touches de la plaque de code pour ouvrir, et de la résonance
de la cour intérieure (pavée, je crois ?). C'était rue Galande, et
je pensais que c'était hors de Paris, parce qu'il fallait prendre le
bus.
Cette après-midi je suis passée dans un magasin de jouets pour
prendre un jeu pour mon adorable filleul. Cela faisait très longtemps.
Ils avaient le jeu que je voulais, ça tombe bien. Certains jeux que
j'avais oubliés existent toujours, en plusieurs versions ; par exemple,
"qui-est-ce" a une version "disney" et une version "mini-pets" ou quelque
chose comme ça (je ne sais plus exactement, je ne suis plus très au fait des
modes enfantines, malheureusement), en plus de la version normale.
On trouve toujours les grands classiques comme le Monopoly ou Cluedo, bien sûr, mais
j'ai été contente de retrouver "mes" classiques de petite fille, les jeux
nouveaux sortis quand j'étais enfant ou quelques années avant
- puissance 4, tricky-bille, docteur Maboul.
Par contre j'ai été un peu triste de ne pas trouver certains des jeux
que j'avais le plus aimés - "Hôtel", avec ses grands hôtels en carton
et les tours de l'hôtel "Président", ou Intrigues à Venise avec le
dé en forme de masque, ou "Hero quest" que j'adorais (surtout le magicien).
Ils n'avaient pas non plus "Destins", mais il
paraît qu'il va être réédité. Et pas non plus tous ces jeux dont je
me souviens juste confusément, les jeux avec un pingouin sur un escalier
mécanique, les innombrables jeux de pêche de gros poissons dans
un bassin tournant.
9 février 2010
Il neige. Trois pigeons perchés gravement côte à côte sur la rambarde du balcon
ont gonflé leur plumage en grosse boule douillette, de quoi rendre jaloux les
pauvres humains frileux comme moi.
Je me demande ce qu'ils contemplent depuis une heure,
là, face au vide de la cour, au lieu d'aller s'abriter
quelque part. Peut-être qu'ils méditent sur le réchauffement climatique ?
8 février 2010
Quand j'étais petite, je tenais des todo-listes interminables.
Je voulais lire l'encyclopédie de la maison, faire tous les gâteaux
au chocolat du livre de cuisine, faire l'inventaire de toutes mes affaires,
lire des livres en anglais. Maintenant ma bibliothèque ressemble
de plus en plus à une liste faite objet ; il y a des livres pour
apprendre le russe, des livres d'anatomie-physiologie, que j'ai
juste commencés. Des livres sur la voix, sur les vies de compositeurs
que j'aime, sur le piano. Du machine learning, de la vision.
Ca ne m'empêche pas de continuer à faire des listes, bien sûr.
Il faudrait que je m'enferme chez moi un mois pour lire tout ça,
plutôt que d'ajouter.
15 janvier 2010
Des images me reviennent spontanément. Sa voix si enjouée, comme s'il était
en train de se réjouir par avance de la chute d'une plaisanterie, qui
nous proposait un petit résultat intrigant pour que les retardataires
qui avaient manqué le truc soient enfin motivés pour arriver à l'heure.
L'enthousiasme qui émanait de tout son être, les yeux la voix les mains
le sourire. C'est impossible de faire coller cela
à mardi soir, la distorsion est bien trop grande, au-delà de tout entendement.
Même en étant convaincu que l'être le plus lumineux a sa part d'ombre
et de détresse. Qu'il ait été habité par une détresse si dévorante,
sans que jamais elle n'entache son aura éclatante ? Où trouvait-il son
infatigable énergie, en étant si près de la brisure ?
14 janvier 2010
Quelqu'un qui a une façon unique d'expliquer les choses, de communiquer, de
transmettre son enthousiasme, on ne peut pas simplement analyser ce qu'il fait,
extraire une méthode qui permette de recréer le miracle chez un autre, parce
qu'il y manque la justesse fluide, la chaleur aussi. Mais heureusement la
personne est là, comme une source intarissable d'émerveillement toujours
renouvelé, on sait qu'il suffira d'aller à elle comme on ouvre une fenêtre
quand on a besoin d'air. D'ailleurs on est tranquillement serein rien que de
savoir que la fenêtre est là, si proche. Un jour on y va et il n'y a plus de
fenêtre, juste un mur.
13 janvier 2010
Pourquoi... Pourquoi ? He was my hero. Je me sens si vidée. Sur la porte de mon
ancien bureau que j'avais vidé en septembre pour laisser la place, il y a
encore le plan pour indiquer aux déménageurs où mettre les nouveaux meubles. Il
était tout excité de les avoir reçus, hier. Et puis. Le soir.
11 janvier 2010
Que de 1 et de 0... 11/01/10, ou palindromique à l'américaine, 01/11/10, bonne année.
Il y a des tas de choses très bien à New York. Et que ce soit impossible
d'avoir une baguette chaude, ou moins facile qu'à Paris d'avoir du bon fromage,
on s'y attend, donc on se fait une raison. Qu'il n'y ait pas de Velib aussi, et
j'avoue que ça me rend fière de ma chère petite ville de Paris, que j'adore.
Là où je me sens trahie, c'est quand je découvre une réalité totalement
différente sous un nom familier. Les yaourts, déjà. Le yaourt, c'est une des
richesses sous-estimées de la France - je dis "yaourt" mais je pense à tous les
laitages qu'on trouve au rayon frais, des crèmes Mamie Nova à l'amande aux Iles
Flottantes Rians. Ici, je souffrais de ne pas trouver de bon yaourt, et puis
j'ai vu des "Activia" de Danone au Deli. J'aime beaucoup les yaourts Bio -
pardon, Activia. A Paris j'en mange au moins trois par jour. Depuis des
années. Je me suis jetée sur ceux du Deli. Mais, rien à voir, trop liquides,
trop acides, pas bon. Aux US les yaourts Activia c'est du sous-Activia, le
nutella est moins onctueux, le verre Pyrex explose en sortant du four si on ne
fait pas attention (avant c'était du borosilicate comme en Europe. Puis il y a
quelques années, ils se sont dit, tiens, si on remplaçait le borosilicate par
du Tempered Lime Soda. Ca ne résiste pas aussi bien aux chocs thermiques, mais
qu'est-ce que c'est moins cher. Est-ce qu'il va falloir que j'achète mes plats
Pyrex à Paris et que je les emmène dans ma valise ?) Et quand j'ai acheté mon matelas, j'y suis
allée toute confiante en demandant un matelas mousse. A Paris j'ai un matelas
merveilleusement confortable, ferme comme j'aime mais moelleux quand même,
avec de la mousse haute densité. Je voulais le même. Le vendeur m'a fait essayer
un matelas mousse, je m'enfonçais dedans comme dans du sable mouvant.
J'ai bondi hors du lit pour échapper à cette sensation détestable, et j'ai failli
bondir de nouveau en voyant que cette horreur coûtait presque deux mille dollars
-- Tempurpedic memory foam, le top du top paraît-il... Pas du tout ma tasse
de thé. Je suis partie de Sleepy's en courant, pour aller demander à Google
pourquoi le vendeur était méchant et ne me faisait essayer que du Tempurpedic
quand je lui demandais des matelas mousse. Google m'a dit qu'aux US, ils ne
font pas la mousse polyether normale, à part en bas de gamme. Les seuls matelas
abordables qui soient confortables sont les matelas à ressorts - ensuite il
faut mettre entre 5 et 6 fois plus de sous pour avoir un matelas en latex,
et si on veut mettre encore plus on peut avoir un tempurpedic-sable-mouvant.
Mais la mousse haute densité, ils ne connaissent pas. Quel dommage... J'en rêve
toutes les nuits en me retournant sur mes ressorts.
20 décembre 2009
Facebook me dit: "Say hello." En me mettant sous le nez la photo d'un ami Facebook
avec qui je n'ai pas eu de contact récent (i.e., à peu près
tous mes amis Facebook). Mais pour qui il se prend, facebook, à me donner des ordres ?
18 décembre 2009
Cet article sur le site du New York Times, raconte comment
de nouveaux machins qui permettent de mesurer directement ce que les gens
écoutent à la radio ont changé ce qui se diffuse. Avant, on sondait les
gens pour savoir ce qu'ils écoutaient ; et les gens racontaient vertueusement
qu'ils étaient passionnés de musique classique, ah oui la musique classique
bien sûr, je n'écoute que ça, ça me calme. Et les radios genre Chérie FM,
jamais, c'est des radios pour faire pleurer ma voisine chaque fois qu'elle
se fait larguer par son homme. Mais comme tous les sondages, les gens
décrivent quelque chose d'autre que leur réalité - leur vie rêvée, ou
ce qu'ils veulent qu'on leur associe. En fait d'après l'article, les
stations de musique classique c'est tout vide et tout le monde écoute
Céline Dion. Ces écarts ont causé la disparition de beaucoup de programmes
ou même de stations, quand les annonceurs se sont soudain rendu compte
qu'on leur avait menti. Plus de place pour la musique classique, le
jazz, les radios communautaires.
C'est d'une logique implacable, mais je trouve
ça bien triste ; les programmes supprimés correspondent souvent
à des goûts "élitistes", une musique peut-être un peu moins accessible
que le soft rock (qui apparemment est le grand préféré inavoué des auditeurs),
mais le fait que les gens veuillent faire croire qu'ils écoutent ça montre
qu'il y a tout de même une aspiration, un désir d'un jour comprendre cette
musique, et peut-être pas seulement le besoin de paraître plus cultivé ?
Même si au jour le jour on n'a pas le courage, et
qu'on préfère se détendre sur de la musique "facile". Mais on se dit
qu'un jour, demain, la semaine prochaine, quand on sera moins fatigué,
on se fera son chemin petit à petit.
Et puis le jour où enfin on a le courage, on cherche la station, et elle
a disparu, il n'y a plus que du soft rock partout. Plus le droit d'avoir
à la fois ce qu'on aime et ce qu'on voudrait aimer. Finalement
ça revient à décider que le futur doit forcément être contenu dans
le présent. Bien sûr ce que les gens disent aux sondeurs ça peut être
ce qui "fait bien" plutôt que ce à quoi ils aimeraient que leur vie ressemble.
Mais s'il y en a pour qui la réponse au sondeur était un voeu, on les
oblige à le ramener au niveau de leur vie réelle - et tant pis s'ils auraient
plutôt voulu que ce soit la vie réelle qui rejoigne le voeu.
17 décembre 2009
Je suis allée à l'opéra en traînant un peu les pieds, comme souvent, parce
qu'il faut y aller tôt et que c'est long.
Les Contes d'Hoffmann, d'Offenbach. Je n'avais pas vraiment envie d'aller
voir ça, c'est juste parce que c'était dans mon abonnement. Et puis à cause
de la barcarolle de l'Acte III que j'ai toujours aimé chanter depuis que
j'avais dû l'apprendre en classe de solfège il y a 15 ans.
...15 ans ??
Donc je disais, la barcarolle. Puis Anna Netrebko. Une de celles que je viens
voir exprès. Mais ce n'est pas comme les autres qui m'ont séduites instantanément
- Wendy Whelan la danseuse du NYC ballet, ou Karita Mattila. Je ne voulais pas
l'aimer, au début. Une jeune femme jolie comme ça, on se méfie,
elle ne doit sans doute pas chanter si bien que ça. Mais, si. Elle est
adorablement bien faite *et* elle a une voix très belle. Sa Traviata
de Salzburg est ma version préférée.
Finalement j'ai beaucoup aimé. Tout, pour une fois - la production aussi,
alors qu'au Met c'est rare que je sois fan. C'était très bien chanté,
drôle et bien joué, et j'aime leur lecture du livret.
16 décembre 2009
Voilà, j'ai fini par craquer aussi. Ubuntu. J'aime beaucoup Mandriva
- déjà parce que j'aime mieux le bleu que le sable. Et puis c'est Français,
cocorico.
Mais de tomber sur des forums Ubuntu chaque fois qu'on google un probleme,
ça erode les allégeances. Après avoir installé une carte wifi un peu exotique
sur mon ordinateur,
et lutté pour trouver quel package installer pour faire marcher ça sous le nunux
en place, j'en ai eu marre et j'ai tout viré pour mettre Ubuntu. En plus la release
actuelle s'appelle "Koala", donc c'est le moment ou jamais (c'est tellement mignon
un koala).
Je dois dire que c'est tout de même très reposant. Je m'attendais à avoir au moins
un micro-truc à faire pour installer le wifi, sereinement parce que j'avais trouvé
des tas de tutoriaux Ubuntu pour ma carte. Mais non, même pas, ça marchait out of the
box, dès le premier boot il me proposait déjà de me connecter aux réseaux wifi environnants.
Et il m'a installé l'accélération graphique Netgear tout seul aussi.
4 decembre 2009
Je viens de decouvrir (parce que les gens de mon building ont fait ce
qu'il fallait pour qu'on ait le notre) qu'on peut faire planter un arbre gratuitement
ou on veut a New York. Devant chez soi, devant chez son voisin, ou
meme
un inconnu... C'est sur milliontreesnyc.org.
Ensuite ils font des workshops gratuits pour apprendre a s'occuper des arbres de rue,
et ils donnent des outils pour ca.
Ca pourrait faire un joli cadeau de Noel : "j'ai fait planter un arbre a fleurs devant
ta fenetre."
22 novembre 2009
Après avoir fait du vélo ou avoir couru, il faut faire des étirements,
tout le monde le sait. Et on le fait même, parfois. J'ai eu des périodes
où c'était presque une religion, j'avais une liste immense d'étirements
sophistiqués à faire tous les jours au saut du lit ; d'autres
où je ne fais presque rien. Ca va, ça vient,
comme des modes. Sauf pour ces quatre étirements des jambes qui semblent
undéboulonnables ; ce sont les quatre que le prof de sport de Seconde -
un M. Larousse jeune, dynamique, que tout le monde aimait bien -
nous avait enseignés quand on faisait du quinze cent mètres. L'air de rien
c'est un des rares trucs qui se soient durablement implantés dans ma vie,
comme une hygiène supplémentaire. C'est difficile de prévoir ce qui va rester,
ce qui va partir avec la prochaine marée ; il y a des tas de très bonnes choses
que j'ai essayées, dont j'ai été très satisfaite même, mais ça n'a pas pris finalement,
l'habitude ne s'est jamais incrustée au point de ne pas disparaître quand
j'avais d'autres priorités.
Pour les souvenirs, aussi -- combien de fois ai-je
trouvé dans mon journal quelque chose comme "jamais je n'oublierai cette soirée,"
en préambule à une description d'une scène dont je n'ai plus qu'un souvenir confus.
Voire inexistant. Alors que d'autres scènes dont on ne pense rien sur le coup,
restent des années après ; par exemple, cette vieille nuit sur Astor Place
où j'ai cru reconnaître l'ex d'un ami. Je l'aimais bien, cette ex, mais
elle venait de lui briser le coeur en rompant net, alors je lui en voulais
à la fois pour la peine qu'elle avait causée à mon ami, et égoïstement pour
avoir fait disparaître de ma vie un de mes couples préférés. Ce soir-là
elle donnait la main à un autre homme, et tous les deux souriaient,
les yeux baissés, sans rien voir ni rien dire, juste à marcher côte à côte.
Je crois que c'est le calme, la sérénité qui se dégageaient d'eux que je
n'ai jamais oubliés ; après, je n'ai plus vraiment été capable de lui
en vouloir, comme si elle avait eu l'air tellement en paix avec elle-même
et le monde qu'il devenait soudainement vain d'espérer que les choses soient
différentes.
14 novembre 2009
On a une machine au labo, un distributeur qui vend des chips, des
mars, des napolitains. Des saletés, quoi ; le genre de choses que
je n'achète jamais quand je fais les courses. Sauf qu'en arrivant ici
je me suis très vite retrouvée à aller deux fois par jour
mettre des pièces pour avoir des chips goût emmenthal ou des
mini-Savanes. Puis trois fois ; on travaille, on veut finir un truc
avant d'aller dîner, mais se concentrer ça donne faim.
C'est devenu une habitude, presque une addiction. Les autres ont
le café, moi les mini-savanes.
Et puis une après-midi je vais à la machine, je mets ma pièce
impatiemment. Il ne se passe rien. Le petit écran de la machine
affiche "health control". De quoi je me mêle ?! Si je veux m'empiffrer
de malbouffe c'est mon problème, non ? Depuis quand le distributeur
refuse de me donner mon fix de sucreries ? C'est quoi ce système
automatique qui veut mon bien au lieu de mes sous ?
En fait non bien sûr ; "health control" c'était le message
de la machine pour dire que suite à une montée incontrôlée
de la température du distributeurs, la marchandise n'était sans
doute plus bonne à vendre. Donc pas encore
de distributeur sentinelle-diététique
avec reconnaissance de visage pour empêcher d'y aller trop souvent.
12 novembre 2009
Du temps où je regardais la télé, j'étais tombée sur l'émission
Inside the actors studio ou quelque chose comme ça, un soir.
C'était Naomi Watts qui parlait. On lui demandait, n'y a-t-il
pas eu quelqu'un qui vous a constamment soutenue, et répété,
tu as du talent, tu as du talent, n'abandonne pas ?
Elle a répondu, oui ; 'Nicole Kidman - who kept saying, "one thing
will make the difference. All it needs is one thing..." and
that didn't make any sense to me, but she was right.'
Pour elle ce fut Mulholland Drive.
Je repense souvent à ce petit bout d'interview. One thing will
make the difference, all it needs is one thing...
10 novembre 2009
Amazon fête l'anniversaire de ses wishlists. Je n'ai jamais compris
exactement comment ça marchait, si c'est une liste au père noël, juste
pour se souvenir de ce dont on a eu envie un moment - mais juste une
envie hypothétique, comme les résolutions molles du jour de l'an.
Ou
si c'est vraiment censé être une liste des courses pour les gens
qui cherchent quoi offrir à leurs amis ; en bons commerçants
Amazon espère sans doute qu'on se servira vraiment de leurs wishlists,
mais je pense que pour qu'ils se sentent obligés de faire 10 semaines
de loterie à propos des wishlists, ça ne doit pas marcher si bien que
ça.
La mienne est une espèce d'inventaire de livres que j'ai peur d'oublier
que j'ai eu envie de les lire, de bricoles sur lesquelles je suis tombée
par hasard (Amazon vend même des aspirateurs maintenant, après tout),
et ça donne un peu n'importe quoi
(
ici, ma petite random list ). Et encore elle est remplie uniquement
parce qu'on doit ajouter un article à sa liste pour pouvoir participer
au tirage au sort d'amazon chaque semaine - je ne participe pas à ces
trucs d'ordinaire, mais il y avait une semaine Kindle, et Amazon a fait
assez fort - il y avait 10 kindles à gagner. Tous pour la même personne.
Je trouvais ça tellement incongru que c'était tentant de participer,
pour continuer ma collection de Kindles.
D'ailleurs Barnes and Nobles viennent de sortir le leur (ça s'appelle Nook),
qui a l'air très bien. On aurait pu penser qu'ils auraient ouvert
grand leurs oreilles pour voir de quoi se plaignaient les utilisateurs de
kindle ; et en effet, le Nook lit les PDF et on peut se prêter les bouquins.
Mais depuis le début, ce qui revenait toujours c'était "user defined
folders" (dans le kindle tout est plat, tous les livres sont en vrac sans
qu'on puisse les classer). Sur le forum de prélancement du nook, les
responsables du produit répondent aux questions des utilisateurs. Est-ce qu'on
peut créer des folders ? Euh, non, on n'y a pas pensé, c'est une bonne suggestion
on va plancher dessus. C'était pourtant pas compliqué...
4 novembre 2009
Le monde appartient a ceux qui se levent tot. Mais il est tellement
agreable d'avoir la ville pour soi seul, la nuit, quand tout le monde
dort. Et Velib devient un merveilleux plaisir, surtout quand on n'est
qu'a moitie rassure a velo, comme moi. De jour on se dispute la chaussee,
on doit se faufiler entre les voitures si facilement agressives, et les
camions de livraison qui se demanderaient presque ce qu'on fait sur leur
territoire, quand on essaie de rouler sur les voies cyclables.
Mais de nuit ! On pourrait presque fermer les yeux, tellement il y a d'espace.
Descendre les Gobelins en faisant de larges zigzags, le vent dans
la face, avec une vue degagee de toute l'avenue, c'est jouissif. Et puis
on n'a pas de scrupules a monter sur les trottoirs deserts pour rejoindre sa
station velib sans faire demi-tour.
Et, personne pour vous tousser a la figure !
3 novembre 2009
J'aime mieux "I miss you" que "tu me manques." Je trouve que l'anglais
rend mieux les choses, le fait qu'on vive le manque comme actif. Si
Nathalie manque à Raphaël, ça en dit plus sur Raphaël que sur Nathalie, non ?
Le manque c'est comme une présence encombrante, il y a quelqu'un qui devrait
être là mais qui est ailleurs, alors on fabrique du vide condensé, on s'applique
à bien explorer tous ses contours. Et l'autre, que fait-il ? Des tas de choses,
sans doute ; mais qu'il me manque, c'est juste par effet de bord. Ou alors
c'est que je lui manque aussi.
Et puis, comment traduire "I actually like missing someone"? J'aime sentir
que quelqu'un me manque, j'aime quand quelqu'un me manque ? Pas très
satisfaisant.
31 octobre 2009
Je suis bien contente de ne pas être germophobe.
Je n'y pense pas vraiment d'ordinaire, mais dans les trois semaines
qui viennent ce ne serait vraiment pas le moment de tomber malade.
Avec de plus en plus de mes amis qui disparaissent une semaine et reviennent
épuisés, vidés par la grippe A, l'épidémie fantôme, la "gripette"
comme disait je ne sais plus quel médecin, commence à prendre
de la consistance. Donc j'ai commencé à faire très attention à
respecter les règles d'hygiène affichées un peu partout - ne pas
se toucher les yeux, se laver les mains dès qu'on a touché une surface
éventuellement contaminée, etc.
Mais c'est terrible, tout devient un casse-tête ! On se lave les mains.
Frotter tous les côtés, les paumes le dessus et entre les doigts,
jusque là tout va bien. Mais comment on ferme le robinet ?? Non parce
que le robinet, là, si quelqu'un de malade l'a touché après avoir
toussé en mettant sa main devant la bouche comme les gens bien
élevés, puis en courant aux toilettes consciencieusement pour se
laver les mains, il l'a touché avant de s'être lavé les mains.
Et on a du mal à l'imaginer à laver le robinet au savon... Alors
le robinet est couvert de vilains microbes. Donc il faut faire quoi ?
Laisser l'eau couler, aller chercher des serviettes en papier, s'essuyer
les mains, puis soigneusement refermer les robinets d'eau en faisant
bien attention d'intercaler la serviette en papier entre main et
robinet contaminé ?? Là est le salut, peut-être, donc on se résigne --
mais horreur, pas de serviette en papier, juste
une vieille serviette humide qui traîne là pour s'essuyer les mains,
où des dizaines de mains contaminées ont déjà laissé leurs virus.
Argh. Donc il faut acquérir de nouveaux talents, fermer les robinets
avec les coudes, ouvrir les portes avec l'avant-bras ou l'épaule
(parce que les poignées de portes ! Couvertes d'horreurs, même
si les gens se lavent les mains, comme on vient d'établir
qu'il est si délicat de refermer le robinet ou se sécher les mains
sans réadopter une nouvelle petite famille de microbes).
Alors quand je pense qu'il y a des gens qui font ça tout le temps,
tous les jours, je me dis qu'ils ont bien du courage. Quand chaque
poignée de porte, chaque touche du distributeur de billets, chaque
pièce de monnaie devient une "surface dangereuse", c'est
un travail à plein temps.
29 octobre 2009
J'ai fini Jude the Obscure, de Thomas Hardy, après l'avoir commencé
il y a quelques années et recommencé il y a quelques mois.
Je ne sais pas comment je me fais mes idées préconçues ; sans doute
la couverture beige et brune, austère, de l'exemplaire de la
bibliothèque à l'époque. Je pensais que ce serait une peinture
sociale sévère, et en effet l'histoire est moyennement gaie -
mais l'auteur a l'humour acéré, et l'ironie tendre avec laquelle
il s'amuse par moments de ses pauvres personnages, la tournure des
phrases, me mettait souvent de bonne humeur malgré moi (enfin je ne parle
pas de la dernière partie où tout part en vrille et où la légèreté
a fichu le camp). En lisant certains passages, j'ai du mal à croire
que le livre a été écrit au XIXeme siècle. Le XXème (que je n'arrive toujours
pas à appeler "le siècle dernier"), ou le siècle des Lumières --
mais, le siècle des Enfants du siècle ? Par exemple il fait dire
à ses personnages :
"Apart from ourselves, and our unhappy peculiarities, it is foreign to a man's
nature to go on loving a person when he is told that he must and shall be that
person's lover. There would be a much likelier chance of his doing it if he
were told not to love. If the marriage ceremony consisted in an oath and
signed contract between the parties to cease loving from that day forward, in
consideration of personal possession being given, and to avoid each other's
society as much as possible in public, there would be more loving couples than
there are now. Fancy the secret meetings between the perjuring husband and
wife, the denials of having seen each other, the clambering in at bedroom
windows, and the hiding in closets! There'd be little cooling then."
Ou encore:
"The landlord of the lodging, who had heard that they were a queer couple,
had doubted if they were married at all, especially as he had seen Arabella
kiss Jude one evening when she had taken a little cordial; and he was about
to give them notice to quit, till by chance overhearing her one night
haranguing Jude in rattling terms, and ultimately flinging a shoe at his head,
he recognized the note of genuine wedlock; and concluding that they must be
respectable, said no more."
D'après Wikipedia la femme de Thomas Hardy n'a pas très bien réagi aux vues du
narrateur sur le mariage.
25 octobre 2009
Hier soir j'ai voulu me coucher de bonne heure.
Cela paraît simple. Eteindre l'ordinateur, se brosser les dents.
Mais il y a encore ce petit email qu'on voudrait envoyer ; cela
ne prendra que quelques minutes, et puis au moins ce sera fait.
Alors on rallume, on écrit. Tant qu'on y est on en profite pour
noter une idée, corriger un bout de programme... Et peu à peu
c'est comme une fièvre de la contrebande, glisser une chose en
plus, puis une autre, une autre encore, et juste une dernière
dans le jour qui finit. Puis on s'affole en voyant qu'il est
quatre heures du mat.
Je n'ai pas peur du tout de ne pas me réveiller le lendemain ;
et pourtant je ressens une certaine panique à l'idée d'aller
au lit, d'accepter que c'est tout pour aujourd'hui. Que j'abdique.
Donc j'emprunte sur le lendemain, ce qui n'est pas très malin.
Depuis le temps, je devrais avoir compris. Mais quand je reste
debout pour avancer mon travail, c'est si facile d'avoir
bonne conscience.
23 octobre 2009
Faisons comme si de rien n'était, comme si octobre venait juste après avril.
Beaucoup de choses, déménagements, cartons, customer service désastreux
au point de s'inviter dans mes cauchemars, mais on verra plus tard, ce
message c'est juste pour dépoussiérer les meubles. Et aussi souhaiter
bon anniversaire à une charmante demoiselle qui se reconnaîtra si elle
passe (mais j'en doute, à force de voir les fenêtres sans lumière on
arrête de faire le détour).
Merci à ceux qui m'ont rappelé d'écrire ici.
18 avril 2009
C'est assez délicat parfois de chercher à résumer l'expérience de quelqu'un
par un nombre. Les hommes gardent souvent dans un coin de leur tête le nombre
de partenaires qu'ils ont eues, les femmes parfois aussi mais elles sont plus
discrètes sur la question ; mais qu'est-ce que ce nombre, après tout ? Cela
n'a pas vraiment de sens de dire que quelqu'un qui a passé une nuit avec cinq
filles différentes a plus d'expérience q'un amant infatigable mais monogame
qui perd le compte des centaines, des milliers de nuits avec une unique partenaire.
Au fond c'est assez semblable au problème qu'on a en recherche, où le nombre
de citations d'un auteur n'est pas forcément représentatif de son expérience ;
on veut à la fois de la variété (combien d'articles ont été beaucoup cités)
et de la profondeur (à quel point ont-ils été cités, ces articles).
La recherche est arrivée à une mesure imparfaite mais plus intéressante que
le nombre sec : le h-index, qui donne le nombre maximum n tel qu'on a
au moins n papiers qui ont été cités au moins n fois.
Par exemple, qu'on ait 3 papiers cités 3 fois, 18 papiers cités 3 fois,
ou 2 papiers cités 45 fois + 1 papier cité 3 fois + 42 papiers cités 2 fois,
on aura un h-index de 3.
Bien sûr, cela reste insatisfaisant ; mis vouloir résumer une expérience
multidimensionnelle par un simple nombre l'est inéluctablement.
Est-ce que le h-index ne serait pas aussi une meilleure mesure de l'expérience
relationnelle ? Avoir passé au moins tant de nuits avec tant de partenaires.
Celui qui n'a que des one-night-stands et celui qui a épousé sa copine de maternelle
auraient tous les deux un nombre de 1 ; et celui qui a passé une dizaine de nuits avec
une dizaine de partenaires se retrouverait avec un nombre d'une dizaine.
Avec ce truc je serais assez épatée de rencontrer quelqu'un qui arrive au-dessus de 50.
9 janvier 2009
Quand je rencontre des Japonais, ou que je vois certains de
mes amis qui parlent couramment japonais, je leur dis les deux
ou trois phrases de japonais que je connais. Et presque a chaque fois
j'ai une reponse particuliere pour "mondai nai, mondai nai"...
La personne me demande d'un air surpris, "tiens, ou est-ce que tu as appris ca ?"
alors que les autres phrases recueillent juste un sourire indulgent.
J'ai demande pourquoi, on m'a dit que c'est parce que c'est une phrase
familiere, tres courante, l'equivalent de "c'est pas grave", et que
ce n'est pas ce que les gens apprennent en classe.
Et en effet, tout le japonais que je connais, c'est Yuji et une adorable
petite dame japonaise qui rigolait tout le temps et dont je ne me souviens plus
du nom, qui me l'ont enseigne
pendant les pauses de nos longues journees de cours de shiatsu.
Je ne comprends toujours pas pourquoi les cours ou les livres de langue
n'enseignent pas la langue parlee, la langue vivante,
mais une espece de chimere empesee qui se prend toujours les pieds dans le
tapis.
11 décembre 2008
Encore un bout de Garp, même si ce n'est pas le livre que je lis en ce moment :
"There was no one Garp tended to sneer at as much as he sneered at
psychiatrists - those dangerous simplifiers, those thieves of a person's
complexity. To Garp, psychiatrists were the despicable end of all those who
couldn't clean up their own messes.
The psychiatrist approached the mess
without proper respect for the mess, Garp thought. The psychiatrist's objective
was to clear the head; it was Garp's opinion that this was usually accomplished
(when it was accomplished) by throwing away all the messy things. That is the
simplest way to clean up, Garp knew. The trick is to use the mess - to make
the messy things work fo you. "That's easy for a writer to say," Helen had
told him. "Artists can 'use' a mess; most people can't, and they just don't
want messes. I know I don't. What a psychiatrist you'd be! What would you do
if a poor man who had no use for his mess came to you, and he just wanted his
mess to go away? I suppose you'd avise him to write about it?" Garp
remembered this conversation about psychiatry and it made him glum; he knew he
oversimplified the things that made him angry, but he was convinced that
psychiatry oversimplified everything."
25 Novembre 2008
Une amie française me disait hier pendant qu'on se promenait dans Washington
Square en regardant les adorables écureuils traverser le chemin,
"C'est incroyable tout ce qu'on pardonne à un rat dès qu'il
a une belle queue."
Cela dit, je pense que ce qui me plaît vraiment chez les
écureuils pour le coup c'est plutôt leur façon de
se déplacer par petits bonds, avec leur queue si souple et presque
transparente qui suit comme un ruban. Et puis aussi de se dresser
pour manger une noisette. Les rats ça ne fait rien de tout ça.
11 Novembre 2008
Quelques lignes de Garp : 'He wrote Helen a long, cocky letter, quoting Marcus
Aurelius and slamming Franz Grillparzer. In Garp's opinion, "Franz Grillparzer
died forever in 1872 and like a cheap local wine does not travel very far from
Vienna without spoiling." The letter was a kind of muscle-flexing; perhaps
Helen knew that. The letter was calisthenics; Garp made a carbon copy of it and
decided he liked it so well that he kept the original and sent Helen the
carbon. "I feel a little like a library," Helen wrote him. "It's as if you
intend to use me as your file drawer."
Was Helen really complaining? Garp was not sensitive enough to Helen's own life to bother to ask her.'
Irving n'aurait pas pu écrire cela à une époque inondée d'emails qui produisent
automatiquement leur propre copie carbone.
On y perd l'incarnation matérielle de l'intention un peu trouble des
écriveurs de lettres.
3 Novembre 2008
Je fais des rêves sur l'élection américaine de demain ces jours-ci.
Se dire qu'un résultat semblerait si lumineux, et l'autre si lugubre
- sur ce qu'il dirait sur la mentalité des gens d'ici aux US.
Enfin j'ai hâte qu'on sache.
En attendant je corrige des copies. C'est étrange de soudain
ressentir si violemment ce que je ne faisais que comprendre
quand j'étais élève, du découragement devant les torchons
présentés n'importe comment à l'attachement aux bons élèves
qui répondent parfaitement à toutes les questions. Puis je
redécouvre instinctivement les vieilles ficelles dont mes
professeurs me parlaient - par exemple, corriger les copies des meilleurs
élèves habituels en premier pour établir le barème et savoir
à quoi s'attendre.
25 octobre 2008
«Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour,
pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre!»
s'écrie Swann à la toute fin d'Un Amour de Swann.
11 octobre 2008
J'ai été voir Doctor Atomic, de John Adams, au Met, jeudi dernier.
Beaucoup, beaucoup aimé. La musique, les voix, la production
(pour une fois. Je ne suis pas très fan des productions du Met
d'ordinaire mais celle-là m'a plu).
C'était très intense, et l'opéra construit très bien la tension
qui monte peu à peu à mesure que se rapproche le
premier test de la bombe atomique.
C'était une dress rehearsal. A part
un contrebassiste en tongs et en short,
quelques minutes pour
répéter avec l'orchestre quelques passages un peu fouillis
à la fin du premier acte, et les saluts désordonnés à la fin,
ce n'était pas différent d'une soirée habituelle à l'opéra.
Sauf que mes billets avaient été gratuits et que je n'avais
jamais été aussi bien placée, au milieu du premier rang
du Dress Circle.
3 octobre 2008
Trois jours que je suis à Keystone, dans le colorado.
Je vais rentrer tard demain, la musique de chambre c'est lundi,
donc il fallait que je pratique comme je pouvais ; le seul piano
que j'ai trouvé ici c'est celui du bar de l'hotel.
Donc hier je me suis posee au bar dans l'apres-midi et j'ai
commencé à travailler deux nouvelles pages du deuxieme mouvement
de la sonate de Franck. Par-dessus la musique de fond, qui n'etait
pas bien forte de toute facon.
Je suis restee trois heures, le bar se remplissait, et j'avais
peur de me faire taper dessus par les clients comme je jouais
toujours la meme chose, les deux memes pages, a des vitesses differentes,
en m'arretant parfois sur une note, une mesure, une ligne que je travaillais
plus specialement.
Au lieu de quoi, d'abord ma roommate est venue me voir, "I had
no idea you were the one playing. I didn't know you were so good". ?!!
Elle est gentille, voila tout. Puis ensuite pendant une de mes pauses
ou je regardais mes mails, une dame qui vient me
dire "thanks for playing, you play so beautifully. Please play again"
Et d'autres, encore. Le lendemain un monsieur qui vient me voir pour me
dire "I wanted to thank you so much for playing last night. That was awesome, really."
Et le barman qui me voit affalee dans mon fauteuil il y a cinq minutes, qui
me demande, "were you the one playing yesterday? You did a really good job.
Thanks so much for playing."
Moi je ne sais pas trop quoi faire de leurs compliments si gentils qui
ont l'air si sinceres. J'ai l'impression qu'il y a un tel malentendu.
Je veux dire, en toute honneteté je ne jouais pas, je repetais les deux memes
pages encore, encore, encore, parfois la meme mesure, le meme arpege en boucle.
Qu'est-ce qui plaisait aux gens ? Le son ? Le phrasé ? L'idée qu'il y ait quelqu'un
au piano ? Je ne comprends tellement pas.
And no, this is definitely *not* me not being aware of my own
awesomeness.
2 octobre 2008
Je voulais ecrire sur Salome que j'ai vu au Met la semaine
derniere - Karita Mattila que je voyais pour la deuxieme fois,
et qui a une voix magnifique. Et le little peek of full frontal
nudity que je n'attendais pas du tout (d'ailleurs pour moi toute
la dance of the seven veils etait choregraphiee de facon assez
douteuse). J'ecrirai peut-etre plus tard.
J'ai enfin eu mon piano. Apres une tentative miserablement ratee la semaine
derniere, ou les demenageurs ont amene le piano jusqu'au
lobby puis dit que c'etait impossible de le monter, et
l'ont ramene a Klavierhaus. Hier de meilleurs demenageurs
sont venus et ont reussi ; je n'etais pas la, mais
l'incroyablement gentil proprietaire de Klavierhaus si,
et il m'a envoye des photos, je suis tellement heureuse.
23 septembre 2008
AAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !!!!!!!!!!!!!!!
Enfer et damnation. Je vais au Deli aujourd'hui acheter
un de mes parfums préférés de Haagen Dasz - Mayan Chocolate.
Si vous n'avez pas goûté vous ne pouvez pas savoir, mais
c'est un chocolat vraiment épatant.
Et...................... "Sorry, it's been discontinued".
Haagen Dasz ne fait plus ce parfum. Bouh. My life just got
so much worse. En plus la fille qui était chez moi cet
été a mangé toutes mes réserves. Si j'avais su qu'ils n'en vendaient plus,
je les aurais cachées dans le congélateur du labo.
J'ai trouvé des tas de forums sur internet où les addicts
de Mayan Chocolate comme moi se lamentent sur la disparition
de leur parfum favori. Par exemple un article sur un site
qui s'appelle "Disaster- Mayan Chocolate ice cream flavor discontinued! "
Je me sens moins seule.
Sur les forums ils donnent un lien pour aller quémander le retour
du parfum favori.
Chose rare, je suis allée sur le site de haagen dazs pour leur
conter l'aggravation soudaine de mon mal-être existentiel
suite à la disparition du parfum tant aimé.
D'ailleurs si vous voulez
rendre le sourire à une pauvre jeune fille en manque,
allez ici réclamer le retour de Mayan chocolate :
LIEN POUR RECLAMER LE RETOUR DE MAYAN CHOCOLATE
.
Quand on leur écrit, ils répondent ça :
"Unfortunately, this particular flavor has been discontinued from our product
line. Each year, we evaluate our current flavors and products, our slower
selling flavors and products are discontinued based on National Sales. However,
it is possible if we hear from enough consumers who share your views this
product could be reinstated. I will be happy to forward your comments on to our
Marketing Department for review."
Slower selling flavors?! Comment est-ce possible.
Décidément, je ne comprends pas les Américains.
19 septembre 2008
Quand on va au spectacle, musique danse théâtre ce qu'on veut,
il y a une partie de soi, son badaud intérieur, en quelque sorte,
qui vient guetter la chute - tombera, tombera pas.
Dès qu'il y a une scène, la possibilité de la chute est présente,
pas besoin de cirque et de funambules. On vient
pour l'art, pour la beauté, ou le divertissement, et le badaud
sommeille au fond de son trou ; mais il est si facile à réveiller.
Ce soir je suis allée voir Clytemnestra, par Martha Graham Dance Company.
Commençons par le commencement tout de même, c'était très beau,
le corps humain quelle merveille. Et puis j'ai une affection particulière
pour Electre, Clytemnestre, tout ça, après avoir pondu une dizaine de dissertations
dessus en première.
Tout s'est déroulé sans heurt jusqu'au deuxième entr'acte.
Clytemnestre revient, son sommeil est agité de fantômes
d'Oreste et d'Electre - la musique stridente accompagne
ses tourments. Et puis soudain, la musique se tait, et on
entend le bruit sourd de ses sauts sur la scène, sa respiration
(j'étais juste sous la scène, au troisième rang). Dans la danse contemporaine,
c'est fréquent les parties sans musique ; on écoute le bruit de l'effort, du corps.
Clytemnestre danse, ne s'arrête pas. La musique revient. Sursaute, tressaute, repart.
Vous savez quand la chaîne de salon n'arrive pas à lire un CD mal gravé, et que la musique
saute toutes les trente secondes ? Ben voilà, c'était comme ça. Ca a sauté une trentaine,
une cinquantaine de fois, peut-être. De façon capricieuse ; parfois les danseurs avaient
deux minutes entières sans que ça saute, et puis boum. Ils restaient admirablement
concentrés, en rythme, ensemble ; mais le plus pernicieux c'est que quand la musique revenait,
elle revenait là où elle avait sauté - quinze secondes sans musique
où Oreste se frappe la poitrine
de désespoir à l'idée de devoir assassiner sa mère, on entend son souffle haletant,
et la musique revient et Oreste a quinze secondes d'avance, forcément. C'est très long,
quinze secondes. Alors Oreste refait un tour en se frappant la poitrine, bravement.
Ca a sauté au moment du meurtre de Clytemnestre, aussi ; tuée sans musique. Puis
une fois qu'elle expire la musique revient. Electre et Oreste n'allaient pas la retuer,
tout de même, et puis cousin Egisthe avait déjà été tué aussi alors on ne pouvait
même pas allonger un peu son meurtre pour remplir.
Alors ils se tournent autour en se regardant, ils méditent sur ce qu'ils ont fait, sur l'horreur
du destin des Atrides.
Je trouve qu'ils s'en sont très bien sortis - déjà que c'est stressant
d'avoir la musique qui saute quand on est assis sur son canapé, quand on danse
je n'ose pas imaginer. Eux restaient concentrés et fluides. Il y a eu un seul moment,
où les Furies passaient devant le rideau pour sortir de scène - quand la musique est revenue,
elles ont un peu bâclé leur sortie, l'air de dire, "Ca va quoi, vous allez pas nous tenir
rigueur d'un mètre de scène pas ensemble, c'est déjà assez dur comme ça".
1er septembre 2008
Je suis allée faire un petit tour ce soir, autour de Washington Square.
En poussant à peine plus loin, une rue, une petite porte, et le souvenir
de moi un matin de printemps, occupée à des adieux pleins de
promesses silencieuses et inattendues,
sans savoir que les choses ensuite allaient
se tromper de route. Je me suis sentie soudain pensive, j'ai eu
envie de me trouver un banc pour me perdre tranquillement dans
mes rêvasseries. Il y avait quelques guitaristes qui jouaient - mal -,
je les ai dépassés pour me poser sur un banc plus à l'écart.
Je tire un peu sur ma petite robe en coton rouge pour m'asseoir
sur le banc, et je me prépare à visiter ma mélancolie ;
j'entends une voix qui dit "See
that girl in the red dress sitting next to you?". Je regarde, c'est
un vieux Black American assis à quelques mètres, il a une guitare, il
parle à deux jeunes qui sont assis à l'autre bout de mon banc, entre
moi et lui.
Il gratte quelques accords, et chante (enfin chanter c'est beaucoup
dire)
"See the lady in a red dress?
See the color of
her hair?
See the color of her face?
She comes in colors everywhere!"
Je m'étais tournée vers lui, je souriais, un peu ennuyée d'être
dérangée dans ma solitude mais il fallait bien. Une femme passe,
robe bleue ; lui la désigne du menton et reprend :
"See the lady in a blue dress?
See the color of
her hair?
See the color of her face?
She comes in colors everywhere!"
Et frénétiquement, en voyant passer une petite fille dans une robe blanche :
"See the lady in a white dress?
See the color of
her hair?
See the color of her face?
She comes in colors everywhere!"
Il s'agitait de plus en plus avec sa guitare,
un couplet par demoiselle qui passait
avec une robe - et ces dames avaient le bon goût de passer presque
exactement au moment où le couplet d'avant finissait. Un des guys
assis sur le banc lui dit, "Sing the song you were singing earlier!", mais
lui répond "One more color! One more color!", et il se rue vers
une vieille en robe informe marron et recommence, "See the lady
in a brown dress?". A ce moment tout le monde
était déjà plié en deux, mais de voir toute sa jubilation à l'idée
de chanter un couplet de plus à sa comptinette bêbête on a ri encore
plus. Il a fait une dizaine ou une vingtaine de femmes comme ça ;
et les passants ne comprenaient pas pourquoi il y avait une bande
hilare qui éclatait de plus belle chaque fois qu'une nouvelle femme
passait.
Pas réussi à avoir mon heure mélancolique, du coup. Elle est partie
comme un oiseau. Ca ne se commande pas. Tant pis, next time.
20 août 2008
Aujourd'hui j'ai été à la poste.
La première semaine du mois d'août aussi. J'y avais
fait un petit malaise. Oh, pas grand chose ;
de la sueur, la certitude que bientôt j'allais m'évanouir, une perte d'équilibre. La dame du guichet était
partie chercher une enveloppe, elle revient et me voit
affalée sur mon papillon de recommandé avec AR,
j'ai juste le temps de lui dire, "je ne me sens
pas très bien" et un voile noir tombe devant mes
yeux. Elle a pris les choses en main, a fait le tour
pour venir me soutenir et m'emmener m'asseoir sur
une chaise ; comme toujours quand je fais des
malaises, je me raccrochais à sa voix, à la sensation
de ses bras qui me guidaient, pour ne pas perdre conscience. Elle me chantait une chanson, "allez mademoiselle
ne lâchez pas prise, on chante une chanson, allez,
chantez avec moi", puis elle m'a fait prendre un
petit gateau qu'elle m'a mis dans la main comme
je ne voyais toujours pas, puis un verre d'eau,
le voile s'est dissipé et le malaise était passé.
Je suais toujours à grosses gouttes alors elle
me faisait du vent, puis elle m'a dit de m'asseoir
et elle a rempli mes papillons de recommandé pour moi.
Cette dame c'était un ange, je lui faisais tellement
confiance pendant cette minute interminable de mon
malaise ;
je n'avais aucune idée de la façon dont elle
faisait surgir du néant l'eau ou le gâteau,
mon univers s'était rétréci pour ne contenir plus
que moi et elle.
Dès que j'avais eu besoin d'elle,
la postière à la courtoisie indifférente qui voit
défiler les clients impatients
s'est transfigurée en ma sauveuse du moment.
Moi j'étais prête à crier mon amour de l'humanité,
et elle je crois pouvoir
dire aussi qu'elle était heureuse de faire ça,
elle rayonnait en ange gardien.
Aujourd'hui, pas de malaise. Rien. La courtoisie
habituelle blasée et un peu absente de la personne derrière
le guichet (qui n'était pas "ma" postière).
J'ai eu un petit pincement au coeur ;
parfois, ça a du bon les petites détresses facilement
secourables.
17 août 2008
F.M. Alexander said 'The experience you want is in the process of getting it. If you have something, give it up. Getting it, not having it is what you want.'
Ah, quel sage cet Alexander. Tout dans la fluidité,
si on se cramponne au lieu de chercher un équilibre
dynamique, on atterrit forcément dans une cuvette
de potentiel.
Cela dit je n'aime pas trop citer Alexander et
Pilates. J'adore la technique Alexander et la méthode
Pilates pour ce qu'elles ont fait, et font,
pour moi, mais j'ai du mal à supporter l'admiration
trop littérale et presque religieuse de
certains adeptes ; on demande pourquoi il faut
respirer comme ça, et on se voit répondre,
"Joseph Pilates a dit qu'il fallait chasser
l'air de ses poumons comme on essore une
serviette parce que ça libére les poumons
de leurs toxines". Ah. Ca me fait une belle jambe.
J'aime mieux faire mon marché et garder ce qui
me convainc, ce qui marche pour moi,
abandonner le reste. On se fait mal voir des
puristes, mais ce n'est pas parce qu'Alexander
et Pilates ont eu raison sur des tas de choses
que leur parole est une preuve en elle-même.
Il y a une phrase de Paul Valéry que j'aime bien
et qui dit à peu près "le lion c'est du mouton
bien assimilé." On peut mettre l'accent sur
plein de trucs dans cette phrase ; mais aujourd'hui
pour moi ce serait, "le lion c'est du mouton
bien assimilé"
16 août 2008
Vu Un millier d'années de bonnes prières ce soir
(l'héroïne s'appelle YiLan !! Asiatique émigrée aux
Etats-Unis qui a une histoire avec un grand Russe. Hehe),
que j'ai beaucoup aimé,
et demain je vais voir la Princesse du Nebraska -
Wayne Wang tous les deux. J'aime bien cette idée de
faire les films deux par deux ; j'avais vu les bandes
annonces juxtaposées la dernière fois que j'étais
allée aux Sept Parnassiens pour voir je sais plus
quoi, et j'avais eu envie d'aller voir ces films.
Surtout que depuis mon voyage en Chine et les heures
consacrées à apprendre un peu de Chinois, j'ai une
attirance nouvelle pour la langue, et même saisir un
mot sur 25 me fait plaisir. Si seulement j'avais le
temps, le temps d'apprendre ces langues... Mais bon
en ce moment ça code, ça code, et ça débugge. Wo bu
zhidao.
Zut j'aimerais bien me souvenir de ce que c'était,
ce film. Ah oui. Les Sept Jours, de Ronit Elkabetz.
Très beau film. Et j'aime beaucoup Ronit Elkabetz;
depuis que je l'ai vue et trouvée si belle dans "La
visite de la fanfare" (enfin, The Band Visit. Je l'ai
vu à New York il y a quelques mois), j'ai cherché à
voir tous les films où elle jouait. J'aime beaucoup
son personnage dans Mariage Tardif.
14 août 2008
Quand j'étais à l'école, la maîtresse donnait des images aux élèves qui étaient sages. On collectionnait les images avec ferveur, sans en faire rien d'autre que les collectionner. A peine si on les regardait ; il fallait juste en avoir le plus possible.
Quelques dizaines d'années plus tard, au bout de cette même rue
Pierre Brossolette où se dresse ma belle école primaire, je
collectionne toujours, et avec la même ferveur sans objet - des
bonus Velib' au lieu d'images, mais où est la différence ? Je
n'utilise jamais mes bonus, dans toute mon histoire velib' j'ai
fait seulement deux trajets de plus d'une demi-heure -dont un de 31 minutes-, et
maintenant que j'en suis à huit heures et demie de bonus, on ne
peut pas vraiment dire que le prochain bonus me servira à
quelque chose. Tous les jours, si je pose un velib' au bout de
cette rue, je gagne 15 minutes de "bonus grimpeur", parce que la
station est en haut de la montagne Sainte-Geneviève. Cela paraît
si bête ; et pourtant je me surprends à vouloir à tout prix
venir à vélo, sous la pluie, sous l'orage, trois fois par jour,
prenant n'importe quel prétexte pour faire une course et
m'offrir cette satisfaction du bonus inutile au retour. Je
racroche mon vélo, et je vais consulter mon solde à la borne.
"480 minutes de bonus", j'en rougis de plaisir et je pars
travailler le coeur tout ensoleillé. Si toutes les bornes
près de chez moi sont vides, comme aujourd'hui, je me sens
une telle déception que j'irais presque à pied à l'autre bout de
l'arrondissement pour trouver un vélib à remonter sur ma chère
montagne, et augmenter mon compteur de bonus.
Un peu plus sérieusement, chaque fois que je prends un Velib',
je me sens débordante de reconnaissance béate ; j'ai
envie de dire à la Mairie de Paris combien je les adore,
qu'ils rendent ma vie plus douce, joyeuse, facile, gaie.
Cet été je m'étais fixé plusieurs objectifs assez ardus,
l'un d'eux étant de trouver l'aisance et la confiance
pour rouler en vélo à Paris (ça n'a l'air de rien, mais
j'ai appris le velo a 11 ans passes, et j'en ai fait tres
peu). C'est venu beaucoup plus vite
et beaucoup plus facilement que je ne pensais, parfois
la vie est simple. C'est vrai aussi,
et plus encore, pour une autre chose qui s'est résolue comme
par enchantement cet été, et que je pensais être quasiment
impossible - c'est une grande source de confiance, et
tres inattendue. Pour compenser, un
échec total assez lamentable par ailleurs, s'il était besoin
de me rappeler that i can be really good at being really lame.
Et pour le reste, on verra bien, il reste quinze jours de mois
d'août à cravacher avant de faire des bilans...
11 août 2008
Très auto-géré le labo en ce moment. On change les poubelles nous-mêmes, on
doit amener ses propres serviettes pour se sécher les mains parce que la
machine qui dévide du tissu propre a fini par vider ses réserves... Deux
semaines déjà. Si ça continue il va falloir passer l'aspirateur et la
serpillère, aussi ! Enfin, je trouve ça plutôt sympathique cette ambiance
décontractée de mois d'août à la française. On ne rigole pas avec les vacances,
ici... Entre cet art-de-vivre et celui des Etats-Unis dont ma facture
d'électricité vient de me rappeler l'essence de façon caricaturale - la très
sympathique Américaine qui vit chez moi en ce moment passe ses journées au
boulot en laissant tourner l'air conditionné toute la journée à vide chez moi,
alors qu'il y a une fonction minuteur pour programmer son redémarrage avant
qu'on arrive, mais elle ne parvient tout simplement pas à s'y faire -,
je crois que je reste indéracinablement Française. Il y a
énormément de choses que j'adore dans la mentalité américaine, du moins telle
qu'elle se dessine à New York ; mais pas cette façon de se réconforter de
l'épuisement au travail en se vautrant dans le confort quotidien
(ils ont un mot très bien pour ça, "self-indulgence"), auquel on tient
comme à son seul refuge, son unique espace de laisser-aller décadent.
20 mai 2008
Il ne me reste plus que quelques pages du livre - toujours "Si c'est
un homme", de Primo Levi. Je relis le passage que j'ai recopié puis traduit
hier ; au premier abord, on pourrait penser que c'est un peu mièvre, un peu
cette morale simplette des films américains qui voudraient nous dire,
"croyez en l'humanité, en la bonté des gestes simples", nous redonner
la foi en l'homme en mettant en scène la bonté quotidienne. En général
je trouve ça suprêmement horripilant.
Mais justement, la force de ces mots de Levi, c'est que celui qui les a écrit
était à Auschwitz ; il avait toutes les raisons du monde de ne plus
croire qu'à l'imbécilité cruelle des hommes, à l'absurdité déroutante
de la facilité avec laquelle ils ont glissé dans cette horreur, inimaginable
avant qu'elle se produise. Et pourtant, il dit que la bonté d'un homme
l'a sauvé, lui a permis de continuer à voir la lumière malgré tout.
19 mai 2008
Et la traduction ? Oui, oui, j'arrive. Same disclaimer as usual, je traduis à
la volée alors m'embêtez pas.
"Dans ce monde ébranlé chaque jour plus profondément par les frémissements de
la fin proche, entre les terreurs et les espérances nouvelles, et les
intervalles d'esclavage exacerbé, il m'advint de rencontrer Lorenzo.
L'histoire de ma relation avec Lorenzo est à la fois longue et brève, simple et
énigmatique ; c'est une histoire d'un temps et d'une condition désormais
effacés de toute réalité actuelle, et pour cette raison je ne pense pas qu'elle
puisse être comprise autrement que de la façon dont se comprennent aujourd'hui
les faits de la légende et de l'histoire la plus reculée.
En termes concrets, cette histoire se réduit à peu de chose : un ouvrier civil
italien me porta un morceau de pain et les restes de sa soupe chaque jour
pendant six mois ; il me donna une de ses chemises, toute rapiécée ; il écrivit
pour moi une carte postale pour l'Italie, et m'en fit avoir la réponse. Pour
tout ceci, il ne demanda ni n'accepta aucune compensation, parce qu'il était
bon et simple, et qu'il ne pensait pas qu'il faille faire le bien en échange de
quelque chose.[...]
Pour le sens que peut avoir la volonté de préciser les raisons pour lesquelles
ma vie, entre des milliers d'autres équivalentes, a pu résister à
l'épreuve, je crois que c'est précisément à Lorenzo que je dois d'être vivant
aujourd'hui ; et pas tant pour son aide matérielle, que pour m'avoir
constamment rappelé, par sa présence, par sa façon si simple et facile d'être
bon, qu'il existait encore un monde juste en dehors du nôtre, quelque chose et
quelqu'un qui fût encore pur et intègre, épargné par la corruption et la
sauvagerie, étranger à
la haine et la peur ; quelque chose d'assez indéfinissable, une possibilité
lointaine de bien, qui valait cependant la peine qu'on se maintienne en
vie.[...]
Lorenzo était un homme ; son humanité était pure et immaculée, il était au-
dehors de ce monde de négation. Grâce à Lorenzo, il m'a été accordé de ne pas
oublier d'être moi-même un homme."
18 mai 2008
Cette douceur soudain, la main secourable venue de nulle part, la rencontre de
Lorenzo, l'ange - ou plutot l'homme -
qu'on n'attendait plus...
"In questo mondo scosso ogni giorno piu profondamente dai fremiti della fine
vicina, fra nuovi terrori e speranze e intervalli di schiavitu esacerbata, mi
accadde di incontrare Lorenzo.
La storia della mia relazione con Lorenzo e insieme lunga e breve, piana ed
enigmatica; essa e una storia di un tempo e di una condizione ormai cancellati
da ogni realta presente, e percio non credo che potra essere compresa altrimenti
di come si comprendono oggi i fatti della leggenda e della storia piu remota.
In termini concreti, essa si riduce a poca cosa: un operaio civile italiano mi
porto un pezzo di pane e gli avanzi del suo rancio ogni giorno per sei mesi; mi
dono una sua maglia piena di toppe; scrisse per me in Italia una cartolina, e
mi fece avere la risposta. Per tutto questo, non chiese ne accetto alcun
compenso, perche era buono e semplice, e non pensava che si dovesse fare il
bene per un compenso.[...]
Per quanto di senso puo avere il voler precisare le cause per cui proprio
la mia vita, fra migliaia di altre equivalenti, ha potuto reggere alla prova,
io credo che proprio a Lorenzo debbo di essere vivo oggi; e non tanto per il
suo aiuto materiale, quanto per avermi costantemente rammentato, con la sua
presenza, con il suo modo cosi piano e facile di essere buono, che ancora
esisteva un mondo giusto al di fuori del nostro, qualcosa e qualcuno di ancora
puro e intero, di non corrotto e non selvaggio, estraneo all'odio e alla paura;
qualcosa di assai mal definibile, una remota possibilita di bene, per cui
tuttavia metteva conto di conservarsi.[...]
Lorenzo era un uomo; la sua umanita era pura e incontaminata, egli era al di
fuori di questo mondo di negazione. Grazie a Lorenzo mi e accaduto di non
dimenticare di essere io stesso un uomo."
17 mai 2008
"Ignoro il seguito della sua storia; ma ritengo assai probabile che sia sfuggito alla morte, e viva oggi la sua vita fredda di dominatore risoluto e senza gioia."
Ce qui pourrait se traduire par : j'ignore le reste de son
histoire ; mais je pense qu'il a très probablement échappé à la mort, et vit
aujourd'hui sa vie froide de dominateur résolu et sans joie.
C'est une phrase de "Se questo è un uomo" ("Si c'est un homme"), de Primo Levi.
Pas du tout la plus marquante ou la plus poignante, mais je viens juste de la
lire et je suis devant mon ordinateur.
Le 1er mars j'ai rencontré pour la première fois de ma vie une survivante
d'Auschwitz, qui nous a raconté son histoire. Plusieurs fois, il s'en est fallu
d'un cheveu qu'elle ne meure ; une décision brusque de ne pas emprunter la file
désignée par Mengele mais d'aller dans l'autre file, la protection plus tard
d'une infirmière qui s'était donné pour mission de la sauver et l'a bousculée
pour la forcer à demander sa grâce à Mengele quand son nom s'est retrouvé sur
la liste des gens bons à gazer. Par hasard juste à ce moment il y a eu un raid
aérien, Mengele humanisé par la terreur s'est laissé fléchir et a rayé son nom.
Plus tard, dans la grande et meurtière marche forcée d'évacuation du camp,
la même infirmière l'a portée quand elle n'a plus été capable de marcher.
J'étais au premier rang, le visage décomposé par les larmes. Cette femme sauvée
encore et encore, peut-on dire qu'elle a eu de la chance ? Quand on a traversé
l'horreur qu'elle a traversée, est-ce qu'on peut encore parler de chance.
Auschwitz est une telle aberration d'inhumanité qu'il semble qu'à son contact
toutes les joies de l'après en soient restées hantées. Je n'ai rien de profond
à dire dessus, juste dire à quel point les survivants d'Auschwitz me paraissent
un mystère humain.
14 mai 2008
J'aime l'espace, chez moi. Ce grand volume vide tout baigné de clarté.
J'ai le coeur qui se serre en pensant qu'il va falloir le massacrer
sauvagement si je veux mettre un piano à queue .
Et ne plus pouvoir m'asseoir par terre le matin sur le futon
nonchalamment étalé en plein milieu, comme une île dans
un océan de parquet. Pauvre petit futon, il devra se serrer contre
le mur et apprendre à vivre à l'étroit après avoir grandi dans les
grands espaces...
En tout cas, ce qui me paraît lumineux c'est que
Zitta a entièrement raison et j'ai besoin d'un piano
chez moi, de mon piano dans mon appartement, au
lieu de continuer éternellement à faire la nomade infidèle.
Et le baby grand qu'elle m'a montré est adorable, vraiment.
Un excellent piano droit serait sans doute plus raisonnable et
je garderais mon espace tant aimé - mais les ressorts ça ne
remplace pas la gravité, puis le double-échappement c'est une
merveille.
Et avoir un piano à queue
c'était un rêve de petite fille, et le devoir des grandes filles
c'est un peu de s'occuper des rêves anciens, non ?
11 mai 2008
Du coup je me suis remise à écouter Gretchen en boucle. Il a dû souffrir
tellement, Schubert, pour écrire ça à 17 ans. Je devrais lire une biographie de
lui, quand j'aurai fini les Schumann et Brahms. J'avais lu il y a bien
longtemps (du temps de Lourdes et tout ça) une nouvelle sur lui, qui le
peignait comme un amoureux transi sans cesse éconduit.
On perd beaucoup si on ne comprend pas les paroles, alors je vous mets une
traduction (je traduis comme ça me passe par la tête
alors c'est très libre, hein) :
Marguerite au Rouet
Je ne trouve plus le repos, mon coeur me pèse
- De paix jamais, plus jamais.
S'il n'est pas avec moi, je vis dans une tombe,
le monde entier ne m'est plus qu'amertume.
Ma pauvre tête sombre dans la folie !
Ma pauvre raison est en lambeaux !
Je ne trouve plus le repos, mon coeur me pèse
- De paix jamais, plus jamais.
Seul l'espoir de le voir me fait regarder par la fenêtre,
Seul l'espoir de le voir me fait quitter la maison.
Son pas altier, son noble maintien,
Le sourire de sa bouche, la force de ses yeux,
le flot enchanté de ses paroles,
la pression de sa main, et, ah ! Son baiser...
Je ne trouve plus le repos, mon coeur me pèse
- De paix jamais, plus jamais.
Mon coeur étouffe en pensant à lui -
Ah, si je pouvais l'étreindre et le serrer contre moi,
et l'embrasser autant que je voulais,
que je doive mourir de ses baisers !
Ah, si je pouvais l'embrasser autant que je voulais,
que je doive mourir de ses baisers !
Que je doive mourir de ses baisers !
Je ne trouve plus le repos, mon coeur me pèse.
10 mai 2008
Je suis allée voir "Ariadne Unhinged" hier soir ;
j'avais réservé les billets il y a bien longtemps,
après avoir vu et aimé la compagnie de Karole Armitage sur de
la musique de Morton Feldman -- les danseurs et les chorégraphies
étaient magnifiques.
Ariadne Unhinged,
c'est l'histoire d'Ariane vue à travers trois oeuvres
entremêlées, le Lamento d'Ariane de Monteverdi,
la cantate d'Ariane de Haydn, et le Pierrot Lunaire de
Schoenberg. L'histoire d'Ariane oubliée par Thésée sur
l'île de Naxos ; elle a quitté sa famille et sa patrie
pour le suivre après lui avoir sauvé la vie (le fil
d'Ariane, tout ça), il l'a envoûtée par ses
promesses et son charme, et il l'abandonne en chemin.
Pourquoi le Pierrot Lunaire ? Quel rapport avec Ariane ? Le choix
paraît assez lumineux quand on connaît l'oeuvre ; pour moi, il
est peu de partitions qui dépeignent aussi bien la folie.
"Love. Loss. Lunacy.", comme dit l'affiche d'Ariadne Unhinged.
Ariane folle d'amour perd complètement la raison, et délire en
chantant le Pierrot Lunaire.
J'aime ces héroïnes trop amoureuses dont la raison vacille ;
en général c'est une note très aigue et presque hystérique
lancée soudain au paroxysme de leur chant - la Gretchen am
Spinnrade de Schubert qui rêve du baiser de Faust ("Und ach, sein Kuss!", "o könnt'ich ihn küssen so wie ich wollt, an seinen Küssen vergehen sollt". Il
y a une version là, avec la partition qui
défile en même temps que la musique, si vous
vous sentez une envie de chanter), Madama Butterfly
qui s'emporte en imaginant le retour de Pinkerton ("un po' per celia,
e un po' per non morir'al primo incontro", "Tutto questo avverra',
te lo prometto. Tienti la tua paura, - io con sicura fede l'aspetto".
La version
de Maria Callas, qui m'a fait aimer tellement cet air.). Mais c'est un délire
dont la retenue cède avec peine, et pour juste un instant. Même la scène
de folie de Lucia di Lammermoor ( Natalie Dessay sur Youtube. Sur tous les tickets du Met cette
saison il y avait Natalie Dessay dans sa scène de folie. D'ailleurs
même sans aller à l'opéra c'était impossible de la rater
en habitant à New York : il y avait des affiches partout,
avec le slogan "You'd be mad to miss it".
Le lien ici
ce n'est pas cette production-là, c'est une production en Français
à l'opéra de Lyon. Elle se donne tellement d'ailleurs qu'un moment
elle perd sa robe et on voit sa poitrine, ahem.) me semble moins
saisissante que le Pierrot Lunaire ; parce que dans le Pierrot
Lunaire il y a cette gaieté presque démoniaque, ces images
délirantes venues de nulle part qui correspondent plus à
l'image que je me fais d'une raison qui lâche complètement.
J'ai beaucoup, beaucoup, beaucoup aimé. Le va-et-vient entre
les oeuvres rendait très bien la succession d'états d'esprit de
la malheureuse Ariane, l'espoir, la colère, le désespoir,
le délire. Les chorégraphies étaient très belles (décidément,
j'aime vraiment Karole Armitage et ses danseurs) et
évoluaient autour de la chanteuse comme si ses hallucinations
avaient soudain pris corps. Les parties chorégraphiées sur
le Pierrot Lunaire m'ont beaucoup plus séduite que la lecture
par je ne sais plus quel chorégraphe russe (célèbre -
et sans doute le prochain chorégraphe in residence à NYC ballet.
Mais me souviens plus du nom), créée pour Diana Vishneva,
que j'avais vue
il y a quelques semaines. Les décors étaient très à mon goût aussi,
abstraits mais riches.
Je retournerais bien ce soir si je n'étais pas complètement à la bourre
pour des tas de trucs.
9 mai 2008
Je me souviens d'un truc que Stan m'avait dit un jour
qu'on regardait les résultats de notre dernière analyse
d'IRMf. Un moment il faut arrêter de tailler ses crayons
et en faire quelque chose.
Est-ce que je ne suis pas en train de tailler mes crayons
pour qu'ils soient impeccablement aiguisés pour mes 95 ans ?
3 mai 2008
Qui heurte ces livres hautement controversés ?
Un spasme lumineux bleuit la lisière du grand bois
très haut dans une stupeur silencieuse.
Pfff les phrases débiles qu'il ne faut pas inventer pour avaler des séquences
de lettres en catastrophe quand il reste dix minutes avant un examen. Enfin
au moins ça marche.
25 avril 2008
Je suis partie au milieu de Satyagraha aujourd'hui.
Philip Glass, au Met. Le premier acte m'a semblé interminable,
je trouvais la production prétentieuse (le genre de productions
qu'on peut beaucoup aimer si on est in the right mood, j'imagine,
mais là je n'étais pas du tout dedans), et la musique
plate, surtout. J'aime mieux ce que je connaissais
déjà de Philip Glass.
Et j'avoue que je n'étais pas spécialement d'humeur
méditative ou contemplative, ce soir ; comme
j'ai dit à Piotr et Alessia, peut-être que j'aurais adoré si j'avais
vu ça demain ou après-demain.
Donc au premier entracte j'ai ramassé mes affaires et
je suis partie. Sur le chemin j'ai vu Piotr et Alessia, donc
(ça doit être la cinquième ou la sixième fois que je
les croise au Met, on a les mêmes habitudes), qui
avaient l'air de trouver très amusante la véhémence
avec laquelle je justifiais mon départ.
Alessia m'a demandé ce que j'avais pensé de
Peter Grimes - la dernière fois qu'on s'était vus ici, c'était
pour Peter Grimes, de Benjamin Britten, et la
production avait le même genre de "fenêtres ouvertes"
dans le décor que celle de ce soir.
Je lui ai dit que j'avais beaucoup aimé
(les décors pas tellement, mais
la musique énormément), elle a eu l'air surpris.
Elle m'a dit qu'elle préférait la musique de ce soir.
Piotr avait l'air du même avis.
Britten c'est incomparablement plus mon style
que Glass, ça c'est sûr.
Des goûts et des couleurs...
Cela dit, les notes du programme étaient très
intéressantes.
19 avril 2008
Le temps est splendide à New York ces jours-ci.
L'air de rien, le printemps c'est la seule saison que je
n'avais pas encore vue à New York, et c'est une belle surprise ;
je ne m'attendais pas à ce que la ville soit si fleurie. Il y a
des fleurs partout, qui ont pointé leurs petites pousses vertes
avec exubérance, sortant partout de la terre autour des arbres
des rues. Elle cachait bien son jeu, la terre, si placidement terne
alors qu'elle avait en elle tous ces bulbes de tulipes, jacinthes,
crocus, dont je n'avais jamais soupçonné l'existence. Et puis
les arbres sont couverts de fleurs (et pas juste des marroniers,
comme ce dont je me souviens de Paris), et leurs branches sont
tellement basses que quand je passe dessous chaque jour il suffit
que je me hisse sur la pointe des pieds pour perdre la tête
dans une abondance mousseuse de fleurs blanches adorables
et parfumées. Il y a du lilas aussi, qui me rappelle chez Grand-Mère.
La petite placette devant l'Eglise Saint-Mark au bout de ma rue
est couverte de couleurs vives, mais surtout, elle sent délicieusement
bon. Le soir quand je rentre chez moi perdue dans mon bouquin ou dans
mes pensées, souvent le parfum qui flotte m'arrête brusquement
et me fait presque sursauter.
J'avais mis un poème de Verlaine pour mon état d'esprit pluvieux ;
aujourd'hui c'est Aragon qui se promène dans ma tête. Ce n'est pas juste
de ne copier des poèmes que quand il fait triste ; donc
voilà la fin du Cri du Butor :
Il fait beau à n'y pas croire
Il fait beau comme jamais
Quel temps quel temps sans mémoire
On ne sait plus comment voir
Ni se lever ni s'asseoir
Il fait beau comme jamais
C'est un temps contre nature
Comme le ciel des peintures
Comme l'oubli des tortures
Il fait beau comme jamais
Frais comme l'eau sous la rame
Un temps fort comme une femme
Un temps à damner son âme
Il fait beau comme jamais un temps à rire et courir
Un temps à ne pas mourir
Un temps à craindre le pire
Il fait beau comme jamais
Tant pis pour l'homme au sang sombre
Le soleil prouvé par l'ombre
Enjambera les décombres
11 avril 2008
Après deux belles journées il s'est mis à pleuvoir soudain...
Et presque sans y prendre garde, pendant que je marchais dans la rue,
je me suis mise à réciter doucement à voix haute un poème de Verlaine qui disait exactement mon état d'esprit de ce soir.
Je le mets, mais je ne garantis pas l'exactitude, ma mémoire est un peu fatiguée par moments.
Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?
O, bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits
Pour un coeur qui s'ennuie,
O, le bruit de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'écoeure
Quoi, nulle trahison !
Ce deuil est sans raison ?
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine,
Mon coeur a tant de peine.
A quoi je me fais penser, aussi ? A un petit morceau du film
"Dans Paris", de Christophe Honoré, que j'ai revu hier.
Vers la fin, Paul (le personnage de Romain Duris)
raconte comment sa soeur Claire (presque moi, en mélangeant
un peu l'ordre de mes prénoms) avait en elle des tristesses
anciennes, qui n'avaient rien à voir avec sa vie, qui étaient
en elle depuis sa naissance, elles étaient là, c'est tout. Et qu'il faut en prendre
soin, de ces tristesses.
J'aime bien mes mélancolies (pour moi ce sont des mélancolies
plus que des tristesses, je suis rarement triste, et quand je le
suis je sais pourquoi. Bonjour, Tristesse ; Au revoir, Tristesse)
; mettant qu'on puisse m'en dépouiller
définitivement, je sais que je les défendrais bec et ongles - même si les
accès sont parfois un peu difficiles sur le coup, ce soir par exemple.
J'avais passé toute la journée sur une pente douce menant de l'indifférence à
une tristesse vague, et puis quand la nuit est tombée, j'étais au milieu
de mes paperasses pour faire mes taxes (passionnant, hein ?) et d'un seul
coup il y a eu comme une digue interne qui a cédé, ce n'était plus
une lente diffusion mais un déferlement irrésistible. Mélancolie sans
objet. J'ai eu dix minutes assez misérables, puis l'humeur brusquement
condensée est redevenue brume.
Je dis que je les défendrais, donc. Ca ne m'intéresse
pas, l'euphorie perpétuelle.
Enfin ce qui me rapproche de ce que décrit Paul,
c'est qu'il y a quelque chose d'indéfini,
d'immanent, en elles, comme si j'étais simplement leur hôtesse passagère.
Au fond, je crois qu'elles sont toujours là, comme une basse continue.
Simplement, souvent elles sont discrètes et ma vie n'est pas assez
silencieuse pour que je les
entende.
Oui parce que vous comprenez, il y a des tas de choses qui m'enchantent
dans ma vie,
et quand je m'enthousiasme, intérieurement ça fait un joyeux tapage.
Après, allez entendre la Douce Nuit qui marche...
Et, comme un long linceul traînant à l'horizon,
Entends, ma chère, entends la Douce Nuit qui marche.
Baudelaire ça reste de loin mon préféré.
10 avril 2008
How do I get a grip on my inner crocodile?
9 avril 2008
J'ai sommeil, il est 2 heures du matin passees. C'est dommage parce
que j'aurais aimé parler du Joueur (l'opera) que j'ai vu hier,
de ma journée deprimante d'aujourd'hui ou j'ai decouvert avec
horreur que les racines de deux de mes orchidees avaient pourri en cachette
(et l'une des deux est ma petite favorite qui avait fait pousser de
petits bourgeons et deux adorables petites fleurs roses qui sentaient
delicieusement bon), mais il faut vraiment que j'aille au lit. On verra
demain.
Un truc qui n'a rien a voir ; en commandant un truc sur Amazon
je me retrouve avec une suggestion pour "Anna M.", un film
avec Isabelle Carré. C'est une actrice que j'aime beaucoup,
alors je vais voir la bande annonce. Un film sur l'erotomanie ;
son personnage, Anna M. donc, croit dur comme fer qu'un medecin
l'aime. La raison pour laquelle ca m'a frappee, c'est qu'il y a
bien longtemps, j'avais vu un film glauquissime sur le meme sujet,
avec l'erotomane jouee par Audrey Tautou, un docteur comme objet
de la folie passionnelle, et sa femme jouee par... Isabelle Carré.
Il faudrait faire un film ou elle jouerait le docteur,
histoire de boucler la boucle...
Ce film avec Audrey Tautou ca s'appelait "A la folie pas du tout".
Je me souviens tres bien des circonstances ou je l'ai vu ; je
venais de me mettre "en couple" avec un adorable jeune homme,
quelque chose comme deux ou trois jours avant, et c'etait sans
doute notre deuxieme sortie. Ben ce film c'est a peu pres
la pire chose a aller voir pour un couple en lune de miel !
5 avril 2008
Hier j'ai changé mon billet d'avion pour partir un jour plus tard
et pouvoir skier samedi. J'avais passé une après-midi parfaite
avec Oscar et Marina sur les pistes alors je ne me voyais vraiment
pas partir le lendemain.
Aujourd'hui c'était un peu plus la lutte tout de même. Il faisait
très froid, il y avait un vent très fort qui soufflait par
bourrasques, et il neigeait assez fort aussi. La neige était tellement
blanche et éblouissante que je voyais à peine les pistes. Puis Oscar
me manquait assez douloureusement.
Enfin j'ai tout de même encore adoré ; c'était sympa de skier avec
des gens que j'aime bien, et il y a eu des pentes où c'était tellement
jouissif de les descendre que je me sentais sur mon nuage.
Vi me rend vraiment la vie impossible quand j'essaie de taper
des accents sur mon clavier français en me loggant sur ma machine de NYU.
Grrrrrrrrrr.
3 avril 2008
Je pensais ne pas skier ici, que c'eut ete bete ! Du coup je n'ai rien
pris et je skie en jeans,
mais tout va tres bien et je prends mon pied.
Cette conf¿ence à Snowbird c'est une merveille... Talks le matin
(et ceux d'aujourd'hui etaient vraiment bien, presque que des sujets
qui m'interessent beaucoup), dejeuner avec des gens
que j'aime bien (c'est tres familial comme worskhop je trouve),
puis je monte au bar du 10eme etage travailler mon piano sur le grand
piano a queue avec l'immense baie vitree qui donne sur la montagne
magnifique sous la neige... Ensuite ski tout l'apres-midi avec Oscar - la
neige est tres bonne et le temps splendide.
Puis diner et posters le soir. Le pied je vous dis.
29 mars 2008
Je suis en train de lire un papier de Koenderink qui s'appelle "The
Structure of Locally Orderless Images", et dedans il parle de scènes
et d'images ; pour lui, la scène est la réalité sous-jacente, et l'image
la représentation qu'on s'en fait. "Images are operationally derived
from scenes whereas scenes are (implicitly and necessarily incompletely)
revealed through images. [...] A scene simply is the potential
to be observed but only actual observations are data. In a way "the
scene is never seen" (it forever remains an "ideal" or "imaginary" entity,
whose potential to yield novel data is never exhausted), we may only know
(see) images of scenes." Avec un peu de désinvolture dans les associations
d'idées, on peut penser aux observables de la mécanique quantique, ou à la
caverne de Platon, si on veut ; tout ce qui tourne autour de l'idée
fondamentale qu'on n'a accès qu'à une projection imparfaite de quelque
chose qui se dérobe, et n'en finira jamais de se dérober.
Je pensais à ça en méditant sur notre façon de traiter le passé.
J'ai consacré un nombre incalculable d'heures ces derniers temps
à me "prendre le chou" pour essayer de comprendre des choses
qui se sont passées dans ma vie. Parfois on croit avoir trouvé,
et puis une chose qu'on apprend vient jeter un éclairage nouveau
et peut-être violemment divergent sur l'image qu'on s'était faite
de la scène. Parfois même c'est simplement un état intérieur différent,
une émotion qui a changé sans qu'on y prenne garde, qui altère
profondément l'image.
Il y a tant d'oeuvres, livres, films, qui parlent
de cela ; la même
scène vue par ses différents protagonistes qui prend un sens
tout différent. Mais souvent on se dit qu'il y a une réalité objective
quelque part ; le narrateur omniscient peut la révéler à la fin,
ou sinon elle existe implicitement même si elle n'est pas dévoilée.
Mais au fond, est-ce que la "vérité" d'une scène, d'une histoire,
d'une conversation, n'est pas mystérieuse à jamais ? Je veux dire,
c'est connu que les humains sont très forts pour arriver à rationaliser
à tort et à travers ; le cas célèbre de cette patiente qu'on pouvait
faire rire sur commande en stimulant telle zone de son cerveau,
et qui avait toujours une explication, "it's just you guys are so funny."
Dans une conversation entre soi et un autre, il y a toutes ces inconnues,
non seulement ce que l'autre sait mais dissimule, mais surtout les
raisons souterraines qui l'animent et qui nous animent à notre insu.
Alors où cela mène-t-il ensuite, de fouiller le passé, de tourner
et retourner le souvenir imprécis de ce qui s'est dit, de ce qui
s'est fait, à la recherche du sens qui se dérobe ?
Je ne sais pas. De plus en plus je me dis que personne ne saura jamais
ce qui s'est vraiment passé en automne. J'ai simplement cette collection
kaléidoscopique d'interprétations successives, les miennes ou
celles de l'autre ; certaines sont sans doute plus près d'une hypothétique
vérité, mais est-ce qu'elles n'ont pas toutes quelque
chose à dire ?
Puis il y a aussi cette vénéneuse séduction de la cohérence, qui
pousse à faire rentrer de force la Scène passée dans un cadre qui s'accorde
avec l'état d'esprit du moment. Je me suis prise tellement de fois
en flagrant délit de faire cela, avec la plus déroutante bonne foi ;
puis on tombe sur une lettre, un carnet de notes, quelque chose
qui expose impitoyablement la falsification. On peut accuser les
autres d'être de mauvaise foi, mais soi-même ?
L'envie, l'émotion, le désir, ce sont des choses passagères, on veut
une chose un jour, et plus le lendemain. Alors quoi ? On peut être
fidèle à ce qu'on était, à tout prix, en étouffant s'il le faut
l'impulsion présente. Un peu psychorigide. Ou n'accepter de renoncer
ni au désir de cohérence et de continuité, ni à sa vérité du
moment ; et c'est là qu'on falsifie ses souvenirs, pour escamoter
l'impossibilité (et alors ce qui me fascine le plus c'est
l'honnêteté désarmante avec laquelle on peut faire cela sans
s'en rendre compte. Le beurre, l'argent du beurre, et la
bonne conscience. Makes sense. Notre cerveau a un sens redoutable
de son intérêt bien compris).
Ou encore, accepter joyeusement (le Gai Savoir !)
qu'on était quelqu'un la veille, qu'on est un autre aujourd'hui,
et voilà. Je crois que c'est ce que je préfère, car on a beau faire,
on ne peut pas rendre statique quelque chose de changeant, donc
le mieux est encore d'accepter plutôt que de s'obstiner dans le déni.
Comme disait
ma prof de Technique Alexander, "you can choose to struggle against
gravity and pretend it's not there, but believe me, gravity will win."
Mais après, cela veut dire aussi renoncer à demander des comptes
aux autres, renoncer au plaisir amer de les mettre au pied de leurs
contradictions, les acculant à trahir soit ce qu'ils étaient alors,
soit leur désir d'unité. Pierre, dans "Je l'aimais", d'Anna Gavalda,
a raison, il faut s'incliner, donner aux autres le droit à l'erreur.
Ce n'est pas juste, Chloé (la belle-fille de Pierre) ne méritait pas ça ?
Mais tout est là,
voyez-vous : dans les histoire de coeur, la justice on s'en tape.
Pas de bon, pas de méchant.
18 mars 2008
Paris, Paris, Paris... J'ai l'impression de courir le marathon depuis
que je suis là. Mais je suis bien ; il fait juste un peu froid.
Je suis arrivée épuisée, après une nuit délicieusement bien courte la
veille de mon départ. C'est rare dans l'avion que j'aie l'impression de fermer
l'oeil une seconde seulement dans le calme d'après le dîner, pour l'ouvrir au milieu d'une joyeuse
agitation déjà vieille d'un bon quart d'heure, et ma voisine qui me
dit que le petit-déjeuner a déjà été servi, si j'ai faim il faut que je
le réclame à l'hôtesse. One of the perks of being exhausted, moi
qui déteste tant chercher le sommeil dans un siège inconfortable.
12 mars 2008
Ces derniers temps je suis tout à ma redécouverte de la Technique Alexander ;
et c'est, pour piquer son expression à quelqu'un que j'aime bien et à qui je dois beaucoup, "assez merveilleux".
Re- parce qu'un jour lointain (ou pas si lointain, sais plus trop) j'avais
vaguement appris à me coucher par terre en semi-supine avec des bouquins
sous la tête, et j'en étais restée là.
Depuis, les choses ont bien changé. Par hasard (enfin ce n'est pas vraiment un
hasard, mais si je commence à essayer d'expliquer ça on y sera encore
le 18 mai. Ca a à voir avec ce qu'on est en train de chercher à un moment
donné) j'ai lu des livres sur la Technique
juste après avoir éprouvé une sorte de légèreté extatique très déroutante,
une nuit de la fin janvier alors que j'étais en train de travailler devant
mon ordinateur. Une tension que j'avais entre les épaules depuis longtemps,
ou toujours, a fondu - et quand je dis fondu, ça m'a eu l'air de tenir
autant du miracle qu'une hypothétique fonte des glaces au Pôle Nord, du jour
au lendemain. Peu après donc, j'ai commencé à lire les livres que j'avais
commandé un mois avant sur l'Alexander Technique. Je lisais, je lisais, et plus je lisais, plus je reconnaissais
ce que j'avais éprouvé.
Je parlais des livres de self-help, avant. Le problème avec ces livres pour
ceux qui espèrent progresser avec, c'est qu'ils promettent parfois
n'importe quoi. Il y a des tas de livres qui se vendent pour apprendre
à être psychic ou voir les auras, par exemple. Avec les reviews magnifiques
sur Amazon de gens qui attestent que oui, ça marche, vraiment, merci merci.
Euh, oui, sans doute.
J'avouerai pudiquement que j'ai du mal à me lancer là-dedans.
La Technique Alexander promet des tas de choses, aussi, et tellement
de choses que ça a l'air totalement déraisonnable. Mais la différence,
c'est que je sais de quoi ils parlent - je l'ai éprouvé déjà,
dans cette illumination bizarre de janvier,
où je me sentais invincible et splendidement
vivante, simplement parce qu'une tension physique ancienne avait brusquement
lâché. Vous auriez dû me voir à déambuler dans les rues de New York à 5 heures
du matin comme si je venais de recevoir la Parole, les yeux grand ouverts
et incapable d'arrêter de sourire. Le Ravi de la crêche.
Bien sûr, apprendre la Technique elle-même est une chose progressive
et ne donne sans doute pas cette sensation fulgurante ; mais j'imagine
que c'est aussi plus stable (parce que, non, malheureusement, je n'ai
pas continué ma vie dans cet état de plénitude béate. Le lendemain c'était
déjà un peu émoussé, et après une semaine il me restait la liberté de mouvement
regagnée et une sérénité mieux assise - pas si mal).
Enfin voilà, je me dis que c'est vraiment très dommage que
ça ne soit pas plus répandu. C'est une merveille, cette Technique.
10 mars 2008
A la fin de la classe de Programming Languages, Wei (ma copine chinoise)
m'a demandé des nouvelles de certaine personne que je vois
trop ou pas assez, selon le point de vue. La dernière
fois qu'on en avait parlé c'était en novembre, presque une autre ère donc, le
Prédécembréen ou quelque chose (mon ère géologique préférée
c'est le Précambrien, j'aime bien le nom).
Je lui ai raconté en trois phrases, ton badin et léger parce que c'est mon
humeur du moment. Je m'attendais au regard habituel plein de commisération,
l'ami qui incline légèrement la tête sur le côté et contemple ma pauvre personne
comme une petite chose frêle et pitoyable, en secouant la tête
pour marquer sa désapprobation
navrée devant
l'inconscience avec laquelle je m'engage joyeusement dans l'Erreur si commune. La phrase est lourde, mais excusez-moi elle est lourde aussi votre mythologie
du Grand Piège.
Eh bien pas du tout. Wei a ri, m'a dit gaiement que pour elle c'était cela, le monde idéal,
mais que malheureusement les gens n'étaient pas du tout assez ouverts pour le
supporter alors il fallait biaiser et faire autre chose - mais que
si ça ne tenait qu'à elle, tout marcherait comme ça.
J'ai ouvert grand les yeux en souriant, dans un moment
de surprise délicieuse. Alors ça, je n'aurais jamais deviné que je pouvais entendre
ça de sa bouche.
8 mars 2008
Monkey see, monkey do.
Décidément, il faudrait que je me répète ça plus souvent.
7 mars 2008
Blanc :-).
6 mars 2008
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle...
Bah, pas tant que ça, mais gris, gris gris. Je devrais prendre un
calendrier et colorier les jours. Hier blanc, aujourd'hui gris, demain
blanc sans doute, ou gris pâle.
Je sais que la belle humeur revient
toujours, mais je n'ai aucune idée de la composition de mon équilibre
sur le long terme... Gris, noir, blanc, combien ?
Not quite what I was planning.. C'est le titre d'un petit
recueil de mémoires en 6 mots. J'aime bien "Should have learned to count."
Ou: "Secret of life: marry an Italian." Celle-ci aussi: "Without me, it's just
aweso". Puis celle-là : "I wrote a poem. Nobody cared." Ou encore "Never
really finished anything. Except cake."
5 mars 2008
The thing about life is that one day you'll be dead.
Je viens de recevoir un colis d'Amazon, et c'est le titre d'un des
livres qu'il y a dedans. J'adore recevoir des colis ;
c'est mieux quand ça vient de quelqu'un d'autre, mais même pour mes propres
commandes il reste quelque chose de mon excitation de petite fille quand
j'ouvrais mes cadeaux de Noël.
Sur le bouquin lui-même, je l'ai acheté après avoir lu un extrait dans
The Week. C'était une liste de tout ce qui fiche le camp quand on vieillit,
bare-bone facts. Et pourtant d'après les reviews sur amazon c'est un livre
qui met de bonne humeur. Je me suis dit qu'après les deux pages impitoyablement
déprimantes que j'avais lues, ça ne pouvait pas être une des soupes optimistes
habituelles.
"Your strength and coordination peak at 19. Your body is the most flexible
until age 20; after that, joint function steadily declines.[...] Your IQ
is highest between ages 18 and 25. Once your brain peaks in size - at age
25 - it starts shrinking, losing weight, and filling with fluid." Filling
with fluid ?!! Beuârk. Je suis curieuse de voir comment ils vont me faire
sourire après ça.
4 mars 2008
Un lundi de plus, et une nuit de plus à traîner à Fat Cat en jouant au
ping-pong. Comme si tous les lundis
j'écrasais furieusement d'un coup de talon les efforts du reste de ma semaine
pour retrouver un rythme de vie sain.
Hier en allant à Smalls je me répétais, cette fois tu vas au lit tout de suite
après.
My foot. J'arrive là-bas, il y a mes amis, et Matt que je n'avais pas vu depuis
des lustres - charmant comme toujours, je suis bien, j'aime le ping-pong,
tout le monde y va... La sagesse est patiente, elle peut bien attendre
encore une semaine, non ?
3 mars 2008
Je rêve beaucoup de musique ces jours-ci, je ne sais pas trop pourquoi.
Samedi j'arrivais sur scène pour une répétition, on m'indiquait ma
chaise, tous les autres étaient déjà là. J'avais mon violon,
et je découvrais qu'il fallait jouer le sextet de Brahms - clin d'oeil
onirique à un jour lointain où j'avais vu des répétitions de ce
sextet en attendant ma leçon de piano avec M.Exerjean ; à cette
époque, la musique de chambre je voyais cela comme des cours glamours
réservés aux grands. Ca m'avait
marquée parce que l'oeuvre était très belle, et la première violoniste aussi.
Dans mon rêve j'étais deuxième violon, et je ne connaissais absolument pas
la partition. Je me dis, tiens, c'est bizarre que tout le monde
s'attende à ce que je joue ça, alors que je n'étais pas au courant. Pas
grave, on va bien voir. On commence à jouer, je fais une note, et c'est tout.
Les autres s'arrêtent, surpris, et moi je leur dis, "ben oui quoi, vous
pensiez tout de même pas que j'allais pouvoir jouer ça comme ça.". Et je
m'en vais, et Noah joue à ma place (Noah dans la vraie vie c'est un pianiste
de NYU que j'ai rencontré il y a un mois, et revu il y a quelques jours.
Violoniste ça ne lui allait pas si mal).
Devoir jouer quelque chose que je n'ai pas préparé, ou autres variations,
c'est un de mes cauchemars classiques, mais ce qui est étrange c'est
que cette fois il n'y avait pas la moindre trace d'angoisse. Je partais les
mains dans les poches m'asseoir dans le public, à me gratter la tête en
me demandant simplement, but why did they even ask me in the first place?!
Même dans mon rêve je n'avais pas oublié que ça fait dix ans que je ne fais plus
de violon.
Depuis le début de l'année c'est assez drôle
mais tous mes cauchemars se cassent lamentablement la figure ; parfois
ça commence comme un cauchemar, climat angoissant et tout, mais
ça finit en bluette nunuche avec des
petits papillons partout. Et d'autres fois, comme le rêve de samedi,
ce sont des trames de cauchemars récurrents, mais la lourde charge émotionnelle
est remplacée par une atmosphère de comédie légère. Je ne me plains pas
bien sûr, les cauchemars c'est une vraie plaie ; mais c'est étrange.
La nuit dernière ce n'était pas moi qui jouais, donc pas cauchemar du tout.
Un pianiste (qui avait la tête d'Alyosha, mais n'était sans doute pas
lui) qui expliquait sa façon de voir avant de jouer
une pièce de Scriabine : il ne croyait pas à la vertu de se jeter sur les
accords juste parce que le tempo est rapide. Il faut les jouer uniquement
quand on est prêt, c'est cela le plus important. Tout le monde acquiesce
gravement. Et il nous fait une démonstration : il plaque un accord dans
les aigus - puis, au lieu de bondir à l'autre bout du clavier, il réajuste théâtralement ses
bretelles (allez savoir pourquoi il portait un pantalon à bretelles),
pose ses mains tranquillement dans les graves, et plaque son
accord.
C'est à peu près là que je me suis réveillée, un peu perplexe.
2 mars 2008
Brève conversation sur les self-help books hier.
Je me suis rendue compte que je n'en parle jamais, et pourtant
c'est une chose que je trouve assez fascinante ; c'est sans doute
ce que j'ai rencontré ici qui incarne le plus le vieux rêve américain,
pour moi.
J'ai fait - et je continue à faire - une grande consommation de
self-help books depuis mon arrivée ici. Avant cela, je crois que
le seul livre du genre que j'aie jamais lu, c'était il y a bien
longtemps, 8 ou 10 ans peut-être, entièrement
par hasard, un livre trouvé quand on a nettoyé la chambre de M.Zeller
après sa mort. Le titre si naïf m'avait rendue curieuse.
Il se trouve que c'était un des livres les plus
mythiques du selfhelp, le pionnier - le livre de Dale Carnegie,
Comment se faire des amis ou un truc comme ça. Je m'étais dit,
"c'est idiot, ça ne s'apprend pas, ces choses".
Depuis que je vis à New York, j'en ai lu des tas. Je me fiche assez de savoir si "ça marche" ou non ; mais je crois que c'est
une des façons les plus rapides de saisir la façon de fonctionner
des Américains. Rien que la liste des titres
donne une idée de ce qui compose leur vie rêvée. Ensuite, en lisant
le livre on se promène dans des descriptions détaillées de cet idéal,
et aussi des façons de penser "habituelles" qui en séparent
(et qui paraissent parfois complètement saugrenues à une Parisienne).
J'ai lu plusieurs livres de selfhelp
sur le dating avant d'avoir l'impression d'enfin comprendre
ce que c'était que cet animal bizarre... Il faudrait que je
lise The Secret mais c'est tellement over the top que je n'en
ai pas la moindre envie. Mais il faudrait ; j'aime pouvoir critiquer
en sachant de première main, sans qu'on puisse me dire, "Mais as-tu seulement
lu ce livre ?".
Et au-delà de ce qu'il y a dedans, ce qui m'intéresse,
c'est l'enthousiasme, la belle candeur d'ici pour ce
genre de livres, alors qu'en France c'est si marginal - on en lit,
mais en haussant légèrement les épaules, pas grand chose à voir avec
l'intensité de l'espoir d'un lecteur à l'américaine.
C'est un peu court d'y voir simplement de la naïveté ; plutôt que
se moquer avec l'arrogance du cliché français, peut-être qu'il y
aurait là quelque chose à admirer. Tous ces average Joes qui veulent
se prendre en main, qui se lancent dans la lecture de ces livres
avec une ferveur toujours neuve. Si ça ne marche pas, ils essaieront
un autre livre, puis encore un autre.
Lire un livre ce n'est pas une preuve qu'on a profondément décidé
de changer. Certes. S'il suffisait de lire un livre pour tout résoudre,
ça se saurait ; pour faire court, à mon avis ce qui compte c'est plutôt
l'état d'esprit dans lequel on est quand on lit le livre - si c'est le bon,
et que ça fonctionne,
ça aurait sans doute fonctionné aussi bien sans lire le livre, pour peu
que la personne ait suffisamment vécu.
Mais tout de même ; chaque fois que je vois quelqu'un dans le métro
en train de lire Goodbye to Shy, ou How to talk to anyone, je sens
monter en moi une bienveillance attendrie. A défaut d'avoir le désir
profond de changer, le désir de ce désir ce n'est déjà pas si mal.
1er mars 2008
Nuit d'intimité avec Ada.
Il est 3 heures et demie du matin, et ce n'est pas fini, loin de là.
Ada... Sentiments très mêlés. Je dois dire que je me suis un petit peu
prise au jeu, c'est un langage assez rigolo finalement, et le
débuggage est tellement détaillé que c'est un plaisir (pas comme
Matlab -- et, euh, un autre langage que j'utilise
régulièrement et que je ne citerai pas pour raisons hautement politiques.
Pardon pardon pardon) ; mais il n'en
reste pas moins que voilà quoi, j'aimerais bien aller au lit maintenant
au lieu d'être coincée au labo à faire mon satané homework. Enfin
c'est vrai aussi que je suis très moyennement efficace, là ; je me
vautre voluptueusement dans cette
impression éternelle que la nuit s'étire sans fin. Puis l'aube
est là déjà
et on se rend compte que le temps passe aussi la nuit.
Ada pour moi c'est forcément un nom érotisé, à cause du roman de Nabokov
que j'avais tant aimé quand je l'avais lu, il y a... oh non, cinq ans déjà ?
Time flies like an arrow (-- Fruit flies like a banana. Vieille blague de
linguiste). Ada, l'Ardeur ; l'austérité des programmes que je m'efforce de
pondre
n'arrive pas à faire disparaître l'ombre frémissante de mon Ada indomptable,
et ces images fulgurantes qui déchirent sauvagement mes lignes de code. Et
la vraie Ada, l'inspiratrice du langage, celle qu'on appelle la première
programmeuse, c'est tout de même la fille de
Lord Byron, et elle s'appelle Lovelace (d'ailleurs le tutorial que j'ai
avalé aujourd'hui c'est le Lovelace tutorial). Lovelace, amour, dentelle,
lingerie, boudoir. Lingerie surtout quand on parle français, parce qu'à travers
la dentelle anglaise de "lace", demeure le lacé lascif des pièces de lingerie fine.
Puis dans le langage de programmation lui-même il y a ces rendez-vous (en français dans le texte)
entre tâches, à l'intimité discrète mais suggestive - la simple utilisation
de la langue française dans un contexte anglophone a toujours une connotation
sensuelle ou friponne.
29 février 2008
Du temps (lointain) de mes tout premiers cours de tango argentin, Lia disait:
parle à Pierre pour que Paul comprenne. Je m'étais dit que souvent
c'était très vrai.
Pourquoi est-ce que je pense à ça... Si je
donnais un petit nom aux choses agaçantes que
j'aimerais résoudre dans ma personne et ma vie (la procrastination, tout ça) -
et elles sont une présence si constamment familière qu'elles mériteraient
bien ça, mes petits soucis c'est comme une bande espiègle de petits frères
qu'on gronde tout le temps mais qu'on aime bien, finalement -, ça s'appliquerait
très bien, le truc de Lia. Je parle à Pierre, c'est Paul qui comprend.
Well, I just go with the flow. Là où ça me porte ; je ne crois pas à
l'obstination farouche.
Pierre comprendra une autre fois.
28 février 2008
Mon labo est près de Washington Square. Sur Washington Square,
il y a un parc avec des écureuils. Et une fontaine centrale, grand
bassin circulaire. Il
y a aussi un petit arc, genre Arc de Triomphe du pauvre. Il se trouve que quand
on regarde le parc à travers l'arc, la fontaine n'est pas au milieu.
Bigre. Qu'à cela ne tienne ; il n'y a pas de problème, il n'y a que
des solutions, y a qu'à déplacer la fontaine. Donc depuis quelques jours
le parc est en pleins travaux pour décaler la fontaine de quelques
mètres - pardon, feet - , et bientôt
elle sera pile au milieu.
C'est-y-pas beau.
27 février 2008
- I can't believe I've been that stupid!
- I can't believe I hear you say this that often and you still
can't believe it.
26 février 2008
Hier après-midi on devait me présenter un jeune chercheur.
Il sonne, il entre, et c'est un vieux copain de Londres que je ne connaissais
pas si bien que ça mais avec qui j'avais causé
des tas de fois au Queen's Larder,
le pub où tout le petit monde des neurosciences cognitives de Queen Square
allait se bourrer la gueule régulièrement.
Ensuite je pars à ma practice class de shiatsu, et là-bas je fais la
connaissance d'un charmant Français qui s'appelle Pierre. Quelques heures
plus tard je vais chez Lindsey prendre un verre avec d'autres amis à elle ;
je rencontre une de ses amies, on parle de massage, elle me dit qu'un
de ses amis lui a donné une session de shiatsu le week-end dernier.
Et bien sûr son
ami s'appelle Pierre et c'est celui que je venais de rencontrer.
Small, small world comme on dit.
Par ailleurs la soirée chez Lindsey était délicieuse, ses amis très agréables,
et puis Ari est venu après son gig et ça me fait toujours plaisir de le
voir. Puis j'ai tellement rigolé en lisant à voix haute des extraits d'un
bouquin qui traînait sur "getting it on" -- un passage pris au
hasard, et ils expliquaient qu'"inevitably, a girl is going to ask
a guy if she can hold his thing while he pees", ou quelque chose comme ça.
Ah bon ?
22 février 2008
Ce matin en me réveillant j'ai enfilé mon jean, un de ceux que j'ai achetés
chez Express il y a quatre mois. Il tombait complètement ; c'est censé
être taille-basse, mais tout de même, là j'arrive facilement à l'enlever
et le mettre sans même défaire le bouton. Ce que c'est que d'avoir perdu
l'appétit quelques semaines au début de l'année ;
maintenant tout va bien, mais je n'ai
tout de même pas retrouvé mes habitudes d'ogresse d'avant 2008, alors
je me retrouve trop au large dans mes vêtements, c'est un peu embarrassant
parfois.
Donc je suis allée chez K-mart acheter une ceinture. J'ouvre la porte
de mon immeuble, et là toute ma rue était couverte de neige, une épaisse
couche tombée la nuit. Je ne m'y attendais pas ; Henri me l'avait dit
la veille au club quand j'étais passée dire bonjour et danser un peu,
elle vient, elle vient la neige, ce soir - mais quelque part
j'avais l'impression que ce n'était pas possible qu'il tombe tant de
neige sans que je le sente, même bien au chaud sous ma couette ; c'est
idiot, hein.
C'est si beau,
si blanc la neige, à chaque fois je reste saisie sur place et
il me faut quelques secondes pour m'en
remettre...
Quelques pas dehors et c'était tout de suite beaucoup moins drôle.
La température avait monté tellement vite que la neige fondait partout
en catastrophe, et pour passer du trottoir à la rue il fallait mettre
le pied dans des flaques plus hautes que la cheville. En plus parfois
les flaques sont couvertes de quelque chose qui ressemble à une couche
de glace, on croit pouvoir marcher, on met le pied, et plouf. Bienvenue
à New York.
21 fevrier 2008
Now ze sky is ze limit.
17 février 2008
Hier soir il était 3 heures passées. C'était la dernière série
de tangos de la nuit, et je venais de quitter mon dernier cavalier
pour m'asseoir sur la banquette, et regarder les couples danser.
J'ai pris entre mes mains un de mes pieds endoloris, je l'ai massé
doucement. Puis un jeune homme est venu se poser à côté de moi,
surgissant de nulle part comme l'aigle noir,
je ne l'ai pas vu venir du tout. Très jeune, de beaux yeux dans
un visage doucement fin,
l'air tendre et délicat. Je l'ai regardé, il m'a souri,
"Is your foot alright?" "You know, feet weren't made to
wear this kind of shoes." Mais j'aime tellement ces sandales hautes
pour danser. "Well, at least they are beautiful. ... ...
I like these late nights when everybody's gone and there is so much
space. Would you like to dance?". Il y avait quelque chose
de très doux dans toute cette scène, à la fois
l'atmosphère feutrée et intimiste de la nuit dans cette salle presque
déserte, la façon dont il était apparu là de nulle part, notre
conversation mezza voce. Je lui ai souri et tendu la main,
et on a commencé à danser. Dès la première allonge j'ai eu la sensation
délicieuse de cette entente merveilleuse entre nos corps ; les pas étaient
simples mais il y avait cette fluidité à laquelle il est si bon de s'abandonner,
et qui me fait tant aimer le tango. Une danse, deux danses, trois. La quatrième ; il me tend sa main, j'y pose la mienne, puis l'autre sur son épaule,
délicatement.
"Sorry, I get to dance this one." Dit abruptement.
Je tourne la tête. Une jeune chinoise
(je pense). Jolie, j'aime son visage, un corps menu et aimable. Elle me
regarde droit dans les yeux, puis mon cavalier, et lui dit, "This is the
last dance. I'm dancing with you." Puis se tournant vers moi, "Sorry..."
Lui, décontenancé, ne sait pas trop quoi faire, il bredouille, "oh, is it,
really?". Je m'efface et pars retrouver ma banquette. A la fin,
il vient me glisser deux mots, me dire qu'il me remercie pour la danse
et espère pouvoir danser de nouveau avec moi bientôt,
il a l'air tellement désolé de la façon brusque dont on s'est quittés.
La fille vient me voir et dit, "sorry, I didn't mean to be rude, nothing
personal. Only, it was our valentine so I had to dance the last one." Et
elle s'en va.
Comme j'écris ici suivant mes caprices, quand ça me prend, ça fait de cet
endroit une collection fortuite de petits moments qui se fiche éperdument
de l'importance réelle des choses dans ma vie...
Depuis mon paragraphe du 1er février, il y a eu des tas de trucs
qui comptaient, pas comme la petite scène légère que je viens
de raconter. Un jour chargé de belles retrouvailles où j'ai eu l'impression
de renouer en quelques heures avec tant d'étages différents de mon passé ;
puis ces quelques jours si denses, de la musique, des mots, des fleurs...
Mais si j'arrêtais d'être frivole en tenant ma page web elle m'ennuierait.
1er février 2008
25 ans. Bon. Depuis le temps que je disais que l'âge que j'aimerais avoir
toujours, c'est 25 ans. Ca a fini par arriver. Zut.
J'ai hésité jusqu'au bout à aller voir Manon Lescaut au Met aujourd'hui.
J'avais envie d'y aller, mais j'étais en train de travailler un truc sur mon
piano à queue préféré de NYU (le grand yamaha de la salle 979), et c'était
vraiment frustrant de m'en arracher pour aller prendre le métro. Finalement je
suis tout de même allée. J'en suis bien heureuse ; c'était très beau. Le
premier acte ne m'a pas saisie plus que ça, mais à partir du deuxième acte j'ai
vraiment accroché. L'orchestre me plaisait. Le ténor, qui m'avait l'air assez quelconque au début, m'a
beaucoup émue ensuite. Et Karita Mattila était très bien en Manon (je ne comprends
pas trop pourquoi New York magazine disait que c'était un "near miss"). La production, rien de
spécial. Je ne suis pas fan des productions du Met, j'aime mieux les choses
plus dépouillées.
A part ça, je suis tombée sur un autre étudiant de Yann avec sa copine, et j'ai
fait la connaissance d'une Helene très souriante. On s'était retrouvées à
marcher côte à côte à grandes enjambées à huit heures moins cinq dans le souterrain qui
mène du métro au Met, et elle m'avait dit, "oh you're trying to make it on time
too..." "yeah but I'm pretty sure we're fine.", avec mon ton tranquille
de fille qui s'en est déjà tirée avec beaucoup plus de retard que ça (je crois
que le plus juste que j'aie fait c'est samedi dernier quand je suis allée voir
un ballet au New York State Theater, les portes avaient déjà été fermées et l'orchestre a commencé à jouer avant que j'aie trouvé ma place - sans me
rendre compte que je m'étais trompée d'un étage. Heureusement que celle
qui devait être assise à la place a eu le bon goût d'arriver seulement à la deuxième intermission.
Et j'ai pu voir de plus près Liturgy, la chorégraphie de Wheeldon, que j'ai adorée et qui m'a réveillée
d'un coup de mon ennui discret ; la danseuse était merveilleuse, elle s'appelle Wendy Whelan).
Elle a ri. Elle dégageait une joie de vivre malicieuse
très agréable ; rousse avec les cheveux courts, une quarantaine ou une
cinquantaine d'années je dirais, de petites lunettes rondes et le coin des
yeux qui se plissait avec bienveillance dès qu'elle parlait. Elle m'a dit que
j'avais sûrement raison, mais qu'en attendant elle allait me dépasser, et elle
s'est mise à allonger encore le pas. A l'entracte, j'étais en train de
rêvasser sur la balustrade en bas du family circle, et je la vois qui passe.
"So you made it? You had to run all over the stairs?", je souris, je dis oui
(et en effet j'avais couru). "Are you going to come down?", je dis non sans
trop savoir pourquoi (enfin si, parce que je n'ai compris la question qu'après) mais je descends les cinq marches qui nous séparent. Elle
a dû penser que j'étais folle. Elle m'a demandé si j'étais chanteuse. Moi ?
Non. Ah, c'est juste que vous aimez beaucoup l'opéra... Oui, voilà. On discute
un peu. Elle me parle de ses maris musiciens, elle me dit qu'elle apprend aux
gens comment se débarrasser de leur accent, et qu'elle chante. Je lui demande
de deviner d'où je viens. Elle réfléchit, puis : "Say 'Rockefeller'".
"Rockefeller." "Hmmm... Say 'I'm going home now'." "I'm going home now". Puis
on fait les phrases d'Eliza Doolittle, in Hereford, Hampshire, hurricanes
hardly ever happen, the rain in spain etc. Elle
réfléchit encore, puis me fait rosir de plaisir en me disant que j'ai dû
apprendre très jeune, que je parle très bien. Ce n'est pas vrai en général,
mais parfois j'ai de bons moments, et quand il s'agit de répéter des phrases,
ça va. Puis elle me dit que j'ai dû apprendre avec un enseignant anglais. Non,
mais j'ai vécu à Londres avant de venir ici. Elle rit, dit que ça se sent. Je
lui demande quand est-ce qu'elle revient ; elle me dit qu'elle sera là le 15
pour Otello. Je lui dis, moi aussi, ça tombe bien. Je pars rejoindre ma place,
on se quitte en souriant, à regret, sans échanger nos coordonnées. Peut-être
aurait-on dû ; je sais que de mon côté j'avais l'impression que c'était
tellement évident qu'on allait se revoir, que ce n'était pas la peine.
J'espère qu'on se trouvera pour Otello ; moi je la chercherai.
Ma voisine de devant par contre était assez terrible. Elle se penchait sans arrêt très en avant, puis revenais, et moi je devais suivre tous ses mouvements pour voir la scène, sans compter que le voisin de derrière devait sans doute s'astreindre à la même gymnastique imbécile. Mais surtout, elle n'arrêtait pas de se gratter la tête, et l'effet était assez spectaculaire : ses ongles très longs comme s'ils étaient faux, se découpaient en ombres noires sur la scène illuminée, et dessinaient une main crochue qui me faisait penser à la sorcière de la Blanche-Neige de Disney.
21 janvier 2008
Orchidees... Depuis longtemps deja je voulais ajouter quelque chose
a mon chez-moi, quelque chose en quoi je me reconnaitrais un peu.
Un petit chaton ce serait parfait, mais c'est sans doute
un peu high maintenance. Alors des fleurs. Comme ca spontanement
si je devais imaginer ce que je deviendrais si on arrachait sauvagement
mon Yin de mon Yang, je pense que le Yang serait un chat, et le Yin
une orchidee. J'ai toujours vecu avec cette identification silencieuse
mais assez intime a l'orchidee, a cause de mon prenom. Je me souviens
encore de ce jour merveilleux au Vietnam ou j'ai appris que contrairement a
ce qu'on m'avait dit depuis toute petite, l'orchidee n'est pas un parasite,
qui grandit sur son hote et l'etrangle, l'etouffe, tire sa vie propre de
celle d'un autre - pas un parasite, donc, mais une epiphyte. Elle
s'enroule autour de l'hote, enlace sa croissance a la sienne, mais
sans aspirer sa vie de lui ; elle ne fait que chercher un support pour
l'accompagner vers le haut, mais puise son existence de ses propres racines.
Une illumination, qui m'enlevait le poids penible de me dire que je
portais le nom d'un parasite seduisant mais nefaste.
Des orchidees chez moi. J'en voudrais tellement, que mon petit
nid devienne un jardin... J'avais vu une orchidee haute et belle, blanche
avec une adorable tache de jaune, et je l'ai achetee pour l'emmener chez moi, dans la
ferveur du moment. Pour me rendre compte des mon premier pas dehors
que c'etait une bien mauvaise idee ; c'etait le jour le plus froid
de ces dernieres semaines, et il y avait tellement de vent que la pauvre
orchidee semblait tendre vers moi sa tige dans un appel a l'aide implorant,
et les corolles blanches de ses belles fleurs grelottaient sans arret.
Je suis vraiment incorrigible, des le matin j'avais eu a me mordre les
doigts de mon dedain total du climat : j'etais sortie sans secher mes
cheveux encore tout pleins d'eau. Au bout de quelques minutes je me suis
dit que si ca continuait, mes cheveux allaient peut-etre geler, et j'y ai
mis la main. Toute les meches etaient deja enserrees dans un fourreau
de glace solide sur les longueurs. Pauvres cheveux.
Quand je suis arrivee chez moi, ma pauvre orchidee avait bien souffert.
J'ai du couper toutes ses fleurs, et maintenant j'espere qu'elle va
retrouver sa vigueur. Je lui lis des poemes, je lui mets du Bach.
Puis je suis allee commander 5 ou 6 orchidees d'un coup, qui vont etre
livrees dans les semaines qui viennent.
C'est idiot, il faudrait voir si je peux en faire survivre une, d'abord.
Mais c'est un des plaisirs de la vie, de ceder a ces elans brusques
d'un moment, meme s'ils sont deraisonnables. Et elles etaient si belles...
20 janvier 2008
206 os - aujourd'hui c'est peut-être le seul jour de ma vie où je sais exactement les os qu'on a dans le corps.
Enfin, à part les 14 os du visage où j'ai un peu de mal à dire qui est où, mais bon, vous pouvez bien me passer cela, non ?
22 pour la tête, 32 pour chaque bras en comptant l'omoplate et la clavicule, ce qui fait 64 donc ça nous amène à 86,
31 pour chaque jambe en comptant le bassin donc on ajoute 62 qui font 148,
24 vertèbres (7 cervicales, 12 thoraciques et 5 lombaires) plus le sacrum et le coccyx - 174, 24 côtes, 198,
l'os hyoïde sous le menton et le sternum, 200, et enfin les 6 osselets dans les oreilles. 206, le compte y est.
J'avais toujours eu cette impression qu'il y avait beaucoup trop d'os dans le corps pour que je les connaisse
tous ; et pourtant quand on regarde un squelette, c'est évident que des os, il n'y en a pas tant que ça.
Ca m'arrive souvent, ce sentiment qui vient une fois la tâche accomplie, que finalement "c'était cela,
ce n'était donc que cela", pour paraphraser un auteur que Marie-Charlotte m'avait cité il y a longtemps mais
je ne me souviens plus des mots exacts.
D'ailleurs en général je pense qu'on arriverait beaucoup plus souvent à mener ses projets à terme s'il n'y avait
pas en nous à la fois cette mauvaise évaluation préalable de la difficulté, et une confiance excessive en ce
jugement faussé. J'ai beau avoir éprouvé des tas de fois après coup la surprise de voir que la montagne était
en fait une petite colline, je dois toujours faire un effort conscient pour ne pas tenir compte du sentiment
coriace que si j'ai l'impression avant de commencer que je n'y arriverai jamais, c'est que je n'y arriverai jamais.
Cet orgueil imbécile de croire qu'on se connaît, et qu'on connaît ses possibilités.
7 janvier 2008
2008 ? Vous devez faire erreur, voyons.
Non, pas d'erreur. Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame.
Las ! le temps non, mais nous nous en allons...
2007 et avant
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